Claude NICOLET

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Il est toujours salutaire de pouvoir faire "une pause", surtout quand l'agenda nous en laisse la possibilité. C'est le cas. Prochaines élections juin 2019 puis élections municipales (mars 2020). Enfin un peu de temps. C'est à la fois très loin et déjà proche. Nous sommes à ce moment particulier de "l'étale". Ce moment de calme et de sérénité où la marée est à l'arrêt. Le temps et les éléments s'immobilisent entre les forces de l'univers et nous offrent ce moment si particulier, la mer ni ne descend ni ne monte.

C'est le bon moment pour réfléchir, tenter d'analyser, de comprendre, peut-être engager le débat indispensable à toute vie démocratique voire même envisager des propositions.

Je me permets de parler clairement, avec précision et la plus grande honnêteté intellectuelle possible. J'ai passé l'âge depuis longtemps de trouver un intérêt quelconque aux petites combinaisons et aux petits calculs dans une petite cuisine, sur un petit réchaud. Il n'y a là que médiocrité et abrutissement. Cette médiocrité, cet abrutissement sont profondément néfastes car ils tuent sans pitié ce qu'il y a de mieux en vous. Si la vie politique à ses grandeurs elle a également ses petitesses, voire même ses indignités qui bien souvent désespèrent. On peut rapidement y perdre son "âme" c'est à dire ce qui fait fondamentalement la richesse d'un être humain. Si le "pouvoir" est dangereux, c'est tout d'abord parce qu'il assèche considérablement le cœur de celles et ceux qui l'approchent et qui l'exercent. Il faut tout faire pour résister à ce phénomène, car c'est d'abord ça qui coupe de la réalité, de la vie quotidienne, de notre environnement. Cela sous-entend une réflexion permanente sur soi-même et sur l'exercice du "pouvoir." Il faut refuser pour ne pas être en permanence rempli de soi-même, aveugler par sa propre personne, c'est le chemin le plus court vers l'arrogance et le mépris des autres. Une forme de barbarie.

Je ne cesse de réfléchir à ces questions et au chemin à tracer pour moi-même mais également pour et vis à vis des autres. Voilà des années que je réfléchis au sens à donner à l'action publique et à mes engagements divers et variés (politiques ou associatifs). Voilà des années que je réfléchis aux temps "nouveaux" dans lesquels nous serions entrés. Voilà maintenant des années que je rencontre, que je discute, que je consulte, que je cherche à comprendre. Je mets un point d'honneur à recueillir l'avis de toutes et de tous, de rester en permanence disponible et à l'écoute de mes concitoyens, quelles que soient leurs conditions, leurs fonctions, leurs statuts, leurs origines...J'avoue que ce n'est pas ce qu'il y a de plus difficile pour moi, j'aime ce contact. Direct, parfois rugueux, toujours utile et nécessaire. Comprendre, mesurer mais aussi être à la hauteur des enjeux et de l'imaginaire qui est le nôtre.

Incontestablement, nous vivons des temps troublés. Nos concitoyens, à Dunkerque comme ailleurs, se posent une multitude de questions. Emploi, logement, sécurité...nous connaissons tous cela. Mais le malaise ne s'arrête pas là. Il est bien plus profond. Il est lié également à des questions qui touchent à ce qui relèvent de l'idée qu'on se fait de soi-même, en tant qu'individu mais aussi en tant que peuple, que "collectif."

Evidemment ces questions ne peuvent être abordées sous l'angle "technique". Elles relèvent de l'imaginaire, du sentiment d'appartenance, de l'identité, de l'altérité et de ce qui nous relie au monde. C'est en réalité l'essence même de la politique. Ces différents aspects ont été abandonnés purement et simplement. Ou plus précisément une vaste entreprise de substitution est à l'œuvre depuis plus de trente ans pour remplacer notre imaginaire collectif issu en grande partie de la Révolution française mais aussi l'Ancien régime dans ce qu'il a fabriqué l'Etat, par une vision technico-financière fondée sur la rentabilité et la captation des richesses. Ce choc de dimension mondiale est une source considérable d'angoisse en particulier chez les "catégories populaires" grandes perdantes de ce combat où elles ont d'autant plus à perdre que les grandes organisations collectives sensées les représenter, soit ont disparu, soit se sont détournées d'elles en ayant d'autres objectifs politiques. Seules, elles se sentent -à juste titre-abandonnées.

C'est notamment l'une des raisons, qui devient essentielle à mes yeux, du nécessaire combat pour réhabiliter "le" politique". Moi aussi j'entends les discours sur le vieux et ne nouveau monde. J'entends le discours sur la fin du politique, sur la nécessité de "passer à autre chose", qu'il y a de bonnes idées partout, qu'il faut vivre avec son temps...oui, j'entends. Mais est-ce suffisant? Nous le savons, l'éthique républicaine est d'abord une exigence philosophique et politique. Au cœur de cette dernière, la promesse de l'Egalité qui est, c'est vrai, une passion française. L'exigence ensuite que nos dirigeants (à quelque niveau que ce soit) incarne ce rêve, cette promesse. Qu'il endosse le rôle et qu'ils fassent vivre cette éternelle espérance. L'Egalité, synthèse révolutionnaire et républicaine nous relie à l'Universel et à l'ensemble de l'Humanité. La France sans le monde n'est rien et ne peut se satisfaire d'elle - même. Elle est ainsi faite et nous en sommes les premiers acteurs, les héritiers et les continuateurs.

Combat d'abord idéologique et politique, la question est de savoir si les contradictions gigantesques qui existent aujourd'hui (captation des richesses par quelques-uns, poursuite de la pression sur les salaires, concurrences acharnées des travailleurs, des systèmes sociaux, des fiscalités...) pourront continuer à se développer sans mettre à un niveau de souffrance sociale intenable, les sociétés travaillées en profondeur par ces mécanismes. La France et les Français ont un problème de nature avec le modèle néo-libéral et financier. C'est un problème de forme et de fond quant à la nature même de notre identité. C'est notamment pour cette raison que l'adaptation du pays à ce nouveau modèle est ressentie avec une telle violence.

Il suffit de constater dans quelles conditions s'effectue cette "mise au pas" au niveau de nos territoires et le coût humain, social et économique qu'il représente. Au-delà du statut des cheminots et de la SNCF, l'un des enjeux du débat concerne en fait l'idée même d'aménagement du territoire et de l'idée qu'on se fait de ce dernier. L'adaptation de la France au nouveau modèle économique et social, porté avec ardeur et zèle par l'Union européenne est le grand débat auquel nous devons prendre part. Nos paysans ne s'y trompent pas en se battant contre la signature du MERCOSUR. L'ensemble des traités de libre-échange auront toujours le même résultat, la marchandisation de l'ensemble des échanges de quelques natures qu'ils soient. L'alliance du libre-échange et du goupillon se fera mais le second en réaction au premier sans oublier que le sabre pourra toujours remettre de "l'ordre" là où ce sera nécessaire.

Je suis ainsi fait, je ne peux me départir de ce type de réflexion. J'ai toujours considéré que la parole, en politique, était un acte fondateur, déterminant. Mais la parole doit être précieuse, précise, réfléchie. Elle doit participer évidemment du débat public mais surtout l'enrichir. Elle doit être en mesure de faire progresser et de s'adresser avec clarté à l'ensemble de nos concitoyens. Elle doit participer à nous "éclairer" collectivement. Qu'on l'a réduise à un discours des "experts", des "sachants" et cette indispensable alchimie qui doit nous relier et qui fabrique notre imaginaire collectif, se dissout aussi sûrement que dans l'acide. Comment dire à nos concitoyens qu'on les aime à coup de statistiques? Comment leur dire que ce que nous avons à faire ensemble va bien au-delà de l'énoncé d'une équation? Comment dire que le destin d'un peuple, d'une collectivité ne se résume pas à l'indice boursier où au tracé d'une route? Qu'une destinée collective s'inscrit dans une épaisseur historique issue du fond de l'histoire et que c'est cet imaginaire qu'il faut mobiliser pour trouver l'énergie sans cesse renouvelée qui nous permettra de poursuivre et de léguer à notre tour ?

Ces questions sont les miennes. Je ne suis pas le seul à être dans ce cas, je le sais. Mais elles sont une"balise", une boussole afin de m'aider à avancer et de tenter parfois de répondre aux sollicitations et aux interrogations de mes concitoyens de Dunkerque et de partout en France. Je suis convaincu que nous avons encore une multitude de choses à faire ensemble car la seule chose qui importe c'est d'être utile pour l'intérêt général.