Ce texte est celui que j'ai eu l'occasion de prononcer à l'occasion des universités d'été du MRC à Dunkerque en septembre 2007. Au regard de l'actualité, j'ai la faiblesse de penser qu'il peut avoir un peu d'intérêt.
Je ne peux aborder ici que quelques points en essayant de placer ma réflexion dans une globalité et en reprécisant quelques notions, car le sujet est gigantesque. Je vais modestement tenter d’aller à l’essentiel et si vous m’y autorisez, d’articuler mon propos en deux grandes parties. La première concernant une tentative de réflexion sur ce qu’on entend par « mondialisation » et des conséquences que cela entraine. Dans un deuxième temps je m’appuierai sur l’exemple que nous donne l’actualité, avec la crise qui secoue actuellement les marchés financiers suite à l’effondrement d’un certain nombre de valeurs et de placements à très hauts risques et à fortes volatilités, notamment dans l’immobilier, pour tenter d’illustrer ma réflexion.
Première partie.
La question de la mondialisation ou des mondialisations, de sa nature, des formes qu’elle prend, de sa réalité, de sa perception est une question de fond. Pourquoi ? Parce qu’elle est essentiellement politique.
Nous avons toujours pensé « qu’un peu d’internationalisme éloignait de la patrie et que beaucoup y ramenait ». Certes je ne confonds pas l’internationalisme avec la mondialisation, je veux simplement dire que nous avons toujours pris le soin de relier politiquement la France avec le monde car la France et surtout la République sont pour nous, des idées politiques avant tout.
Or aujourd’hui c’est là que tout se joue. La lutte pour la Justice, la Liberté, la démocratie et l’égalité est loin d’être terminée et les formes que prennent les combats pour la transformation sociale et l’émancipation des Peuples sont nombreuses. Je pense notamment à ce qui se passe sur le continent Sud américain. Au Brésil, en Bolivie, au Venezuela pour ne citer que ceux là. Ce qui indique également que des politiques publiques de grandes ampleurs, s’appuyant sur des nationalisations et des investissements massifs dans le domaine social ont conservé toute leur légitimité. Certes les situations sont différentes mais la réalité est là. Toute une partie d’un continent pose la question de l’appropriation collective des moyens de production et du contrôle des richesses notamment énergétiques, au nom de l’intérêt général et de l’affranchissement du « consensus de Washington » porté par le FMI et la Banque Mondiale.
Nous avons toujours manifesté sur ces sujets une certaine indépendance d’esprit. Par exemple nous avons refusé le carcan idéologique « européiste ». Non pas l’idée européenne au sens de la fraternité entre les Peuples européens, mais nous avons maintenu vivante dans la gauche française, l’idée que la souveraineté nationale et populaire était l’un des grands acquis de la philosophie politique et qu’elle était l’une des conditions de la Liberté des Peuples. Or, ce point de la Liberté des Peuples, pour celles et ceux qui se réclament de la gauche est centrale, elle est même consubstantielle à notre vision du monde parce qu’elle pose la question des conditions et de l’organisation possible du monde pour le rendre plus juste et plus libre. C’est en réalité de la condition humaine dont il est question.
Vient immédiatement après la question de l’Etat que je distingue de la souveraineté populaire et qui ont été tout le renversement copernicien et le grand progrès opérés par la Révolution Française. La souveraineté de l’Etat c’est autre chose. C’est l’un des points qu’il faut sans cesse rappeler et qui est l’objet de nombreuses confusions voire de pièges qui nous sont tendus.
Souvent pour obscurcir le débat, les deux notions sont confondues. La seule souveraineté des Etats est insuffisante du point de vue de la liberté, même si c’est une condition nécessaire. La souveraineté des Etats et l’ordre peuvent merveilleusement bien s’appuyer l’un sur l’autre pour être les meilleurs instruments de la dictature. Car si on peut avoir de l’ordre sans liberté, en revanche, on ne peut avoir de liberté sans ordre c'est-à-dire s’appuyant, définissant et protégeant les conditions de la liberté, de la justice, du progrès social, de l’émancipation des Hommes et des Peuples, cela sous-entend dès lors la citoyenneté pour chacun comme condition de son existence politique et de la définition de celle-ci. Car la liberté sans ordre n’a pour résultat que le règne de la loi du plus fort, ce qui entraine la fin de la liberté. Dans une certaine mesure c’est ce qui se passe dans le cadre de la mondialisation financière.
Or, si l’Etat peut être l’outil de la répression des hommes, il peut aussi être celui de leur émancipation quand le droit devient la norme et que ce droit est collectivement défini et accepté, qu’il s’incarne dans la loi, que l’Etat devient le détenteur légitime de la force et qu’il est responsable devant le peuple.
C’était là, en partie, le pari de Robespierre quand il a tenté de lier les éléments les plus populaires du mouvement révolutionnaire. La Révolution n’avait de sens, selon lui, que si elle s’adressait et si elle était le produit de tous et non si elle n’était que la traduction d’un basculement historique de l’ancienne aristocratie en direction de la bourgeoisie d’affaires, qu’on peut traduire par « Il faut que tout change pour que rien ne change » et ça se termine par « nous avons une bonne armée », comme l’a écrit Lampedusa. Cela pose automatiquement la question de la Nation, de sa définition et de son fonctionnement. Ce fut tout le sens de la tentative de la synthèse jaurésienne.
Ce travail en réalité doit être repris et approfondi par la gauche française qui ne trouvera pas de refuge hors de la Nation et ne pourra se régénérer ailleurs qu’aux sources de la République comme arme de combat pour le progrès social et l’égalité républicaine, notion jamais satisfaite.
Il est donc vain selon moi d’essayer de renvoyer l’Etat et la Nation aux abonnés absents. Penser que le droit peut être désincarné, qu’il peut, quasiment de façon métaphysique, s’affranchir de l’Etat qui en est l’incarnation au service du citoyen, pour n’exister qu’en soi, est une grave erreur d’analyse. L’espace public est tout sauf un état de nature. C’est ce que nous propose un homme comme Jünger Habermas avec la notion de « patriotisme constitutionnel ». Le droit ne s’incarne que dans des réalités, n’en déplaisent aux « citoyens du monde » qui est une expression qui ne veut strictement rien dire.
C’est aussi l’erreur, je pense d’un philosophe comme Antonio Negri avec la théorie de « la multitude ». Le nouveau prolétariat cognitif remplacerait la vieille classe ouvrière et ne voudrait plus qu’on lui enlève le produit de son travail. Certes, mais la vieille classe ouvrière ne le souhaitait pas non plus et le nouveau prolétariat cognitif n’en reste pas moins un prolétariat qui n’a que sa force de travail pour vivre dans un univers toujours plus précaire. Car, s’il n’est plus en concurrence avec l’ouvrier de l’usine d’à côté, il l’est avec l’informaticien indien ou le salarié d’un call center au Sénégal ou au Vietnam. Et dans le cas présent, à la concurrence salariale s’ajoute la concurrence territoriale. A la question d’Antonio Negri (Le Monde 13 juillet 2007) : « Je me demande si le capitalisme existe encore, aujourd’hui, et si la grande transformation que nous vivons n’est pas une transition extrêmement puissante vers une société plus libre, plus démocratique ? », je réponds « ça dépend pour qui ». Car, en dernier ressort, qui garantit l’exercice de la pratique démocratique ? On le sait tous, ce n’est pas les marchés financiers qui le feront, or pour mettre en place des structures de régulations et de contrôle avec des fonctions redistributives et coercitives même au niveau international (ce qu’il faudra mettre en place) cela ne peut se faire que sur l’organisation d’un espace public politiquement organisé. L’un des grands chantiers intellectuels de la gauche est là. Car en fait, la précarisation du travail et la masse salariale deviennent les seules variables d’ajustement. Il faut être aveugle ou ne pas connaître la réalité des chiffres, pour ne pas constater la perpétuelle progression de la pauvreté notamment dans notre pays. Je renvoie au livre de Jacques Cotta : « Sept millions de travailleurs pauvres. »
Pourquoi cette réflexion et ce détour ? Parce que la mondialisation dite libérale, combat ce modèle et pose même selon moi la question de la nature de la démocratie et plus encore de la République, voire de leurs existences. Pour une raison simple : la mondialisation dans sa dimension financière actuellement à l’œuvre peut s’accommoder de la démocratie comme elle peut s’en passer. Il ne faut d’ailleurs pas négliger à ce sujet la portée des lois portant atteinte aux libertés individuelles et collectives qui sont votées au nom de la lutte contre le terrorisme. Le fameux « Patriot Act » ou les vols secrets de la CIA en sont l’exemple. Mais aussi et surtout parce que de plus en plus d’entités à caractère non démocratique acquiert des pouvoirs sans cesse plus grands. Les marchés financiers, les grands fonds de pensions, les fonds d’investissements ou les fonds spéculatifs, les paradis fiscaux échappant à tout contrôle, l’organisation capitalistique des grandes multinationales, le pouvoir de l’actionnariat sont autant de phénomènes se nourrissant les uns des autres en créant ce que j’appelle le cyber-capitalisme. S’affranchissant des contraintes territoriales, désincarnant toute vision patrimoniale de l’économie, toute relation au temps, à l’histoire, à la culture, à ce qui fonde l’épaisseur du temps et l’épaisseur du monde.
C’est en partie en réaction à cela qu’il faut chercher la réponse à ce que d’aucun appelle un peu trop rapidement « l’apparition de nouvelles crispations nationalistes ». Le retour des Nations ne serait que le dernier avatar du « populisme ». Ceci étant, il ne faut pas être naïf et je pense que nous avons une responsabilité particulière dans la mesure où les chocs provoqués par la mondialisation financière produisent des effets redoutables. Le nationalisme est une réalité qui provoque des catastrophes, l’histoire l’a abondamment prouvé. Mais la Nation, les Nations seront le socle qui nous permettra de bâtir le projet alternatif dont nous aurons besoin en France. Il y a cependant une certaine urgence à s’opposer à cette montée des nationalismes pour leur opposer la nation comme espace de liberté, d’affranchissement et d’épanouissement.
En revanche la République, telle que nous l’entendons ne peut que combattre un pareil modèle. Parce que la République est elle-même une idéologie de combat qui porte en elle une incompatibilité évidente avec la mondialisation, celle de l’égalité notamment sociale et pas seulement juridique et donc porte en son sein une vision de l’universalisme et impose des responsabilités particulières. Elle affirme aussi très clairement où est le pouvoir qui le détient et théoriquement quels sont ses objectifs. Les derniers écrits d’Hubert Védrine sont particulièrement intéressants à ce sujet.
Or, ce point est central, car il fixe l’ensemble des conflits que génère cette lutte parce qu’il y a un lien entre la République et la philosophie en particulier l’héritage des Lumières, et donc d’une certaine nécessaire exigence et rigueur de la pensée même si je n’oublie pas que le libéralisme est issu de cette période, libéralisme philosophique d’ailleurs bien souvent trahi soit dit en passant. Or les signes de cette déconnection sont de plus en plus évidents. Je prends simplement deux exemples : les déclarations de Nicolas Sarkozy sur sa volonté de faire juger les auteurs de crimes déclarés irresponsables et son discours lors de la conférence des Ambassadeurs qu’il faut prendre le soin de lire dans son intégralité et où il n’aborde les relations avec le Proche et le Moyen Orient quasi exclusivement que sous l’angle d’un affrontement entre « l’Occident et l’Islam » dans lequel nos éventuels alliés seraient les Etats musulmans « modérés ». Imaginons un seul instant que l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, le Liban, l’Irak, l’Indonésie, l’Iran, la Jordanie, le Liban, la Turquie, ne parlent de la France, de l’Europe, de l’Occident qu’en terme d’Etats Chrétiens et d’Etats Chrétiens modérés. Ce serait une régression sans nom. Et bien c’est ce que nous faisons quand nous utilisons ce genre de formule, notamment au plus haut niveau de l’Etat. On se place dès lors de plain pied dans l’idéologie du « choc des civilisation » qui est dans une certaine mesure l’inverse de la perspective républicaine, émancipatrice et égalitaire. Ces enjeux sémantiques sont des enjeux de sens, de conception du monde, ces enjeux sont profondément idéologiques. Car ce faisant nous renvoyons des sociétés entières à des définitions totalisantes en ne séparant pas le peuple de l’Etat, la société du pouvoir et de ses dirigeants.
Les phénomènes que nous appelons mondialisation ou globalisation doivent également être resitués dans leur environnement historique. Pour aller vite, depuis la fin du Moyen Age la planète ne cesse de se mondialiser. La dynamique des idées, de la technologie et des échanges de toutes natures n’a cessé de produire ses effets. La Renaissance, en reprenant la maîtrise de l’héritage gréco-latin conservé, entretenu et développé précieusement par la civilisation islamique après l’effondrement de l’empire romain d’Occident et sur lequel elle s’était en partie appuyée pour connaître son formidable développement, possède dès lors le substrat, la masse critique politique, culturelle, philosophique, économique et spirituelle pour mettre en place l’expansion qui sera celle de la civilisation occidentale. L’idée de liberté fait son chemin, de manière difficile et chaotique, dans l’Eglise et en dehors, dans les grandes controverses intellectuelles qui agitent l’Europe et ses structures sociales. Vient la fin de l’unité spirituelle occidentale et apparaît la « déchirure de la tunique sans couture de l’occident médiéval » comme l’a dit Henri Pirenne. La fin d’un monde déjà. Alors qu’au même moment, l’Asie et notamment la civilisation chinoise avait atteint un degré de civilisation très performant, cette alliance des idées et de la technologie s’effectue difficilement et entrave le développement du pays et l’enferme dans sa vision d’Empire du Milieu, ce qui est en partie sa force aujourd’hui.
En fait, la question n’est pas de savoir si nous sommes pour ou contre la mondialisation, si nous sommes des « anti mondialistes », des « altermondialistes », des « anti libéraux » ou des anti capitalistes »,il s’agit là d’un faux débat qui n’a pour résultat que de nous engluer sur de fausses pistes de travail. Il est en effet très difficile de se définir et de réunir les conditions d’un projet de transformation sociale en le et en se définissant en opposition à quelque chose. Même si avec celles et ceux qui se réclament de ces combats nous avons des analyses à échanger.
La question est de savoir si la mondialisation est une catégorie politique que nous pouvons appréhender et bâtir une analyse qui nous permettra de tracer une perspective politique de transformation sociale. Nombreux sont celles et ceux qui travaillent sur ces questions et il faut suivre cela avec beaucoup d’attention. Car les enjeux sont immenses et sont à l’échelle de la planète. Il nous faut voir large. Plus que jamais il faut penser mondial.
Le réchauffement climatique et la montée des eaux, les migrations au niveau mondial, l’exode rural (rien qu’en Chine, environ 15 à 20 millions de paysans quittent leurs terres pour aller grossir « l’immense armée de réserve » comme aurait dit Marx de la main d’œuvre à bon marché, voire exploitée), la question de la souveraineté alimentaire et agricole en lien direct avec les OGM (dont le problème est selon moi très mal posé) et la marchandisation du vivant et de la possession par quelques multinationales des semis est un vrai problème politique et démocratique, l’accès aux ressources énergétiques et à l’eau, l’accès aux connaissances et à la recherche développement, le fonctionnement des grandes industries du divertissement, de la communication, de l’audio visuelle et de l’information. Voilà quelques uns des problèmes qui se posent. Sur ces points seulement, peut-on attendre du marché et de la libre circulation des capitaux, des réponses qui nous conviennent ?
Deuxième partie
Or, nous le savons bien, le cadre des rapports de forces politiques au niveau de la planète reste celui des intérêts nationaux. Il n’y a guère qu’en Europe (et encore pas partout) que l’on croit à la fin des nations et de l’Etat. Ailleurs toutes les stratégies de puissance sont adossées et en articulation étroite avec la puissance publique, même aux Etats Unis d’Amérique. L’Inde, la Chine, le Brésil, le Vietnam sont aux antipodes de cette idéologie. Je ne rappelle pas la phrase de François Mitterrand : « La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir » manière de dire que la France est trop petite pour nous permettre de nous projeter et de peser dans le monde à venir. Mais le problème de l’Europe et du modèle qu’elle propose est que les Etats membres font du transfert de souveraineté (en ce qui me concerne je ne suis pas hostile aux transferts de compétences) sans que l’Union parvienne à le transformer en pouvoir démocratique. Le peut-elle d’ailleurs ? La démocratie sans le citoyen est un exercice difficile et le peuple européen tarde à montrer son existence. Autrement dit, il y a destruction de pouvoir politique démocratique au profit d’un pouvoir politique technocratique qui va de paire avec la financiarisation et la marchandisation des rapports sociaux. La crise que traverse aujourd’hui le système financier en est l’illustration et me permet d’illustrer ma tentative de démonstration.
Trois évènements majeurs selon moi, même s’ils ne sont pas les seuls. Les élections de Ronald Reagan aux Etats Unis d’Amérique et de Margaret Thatcher en Grande Bretagne, la signature de l’Acte Unique européen en 1986 qui consacre la liberté de mouvement des capitaux avec la disparition de la préférence communautaire dans le Traité de Maastricht qui figurait dans la Traité de Rome de 1958. Puis 1989 avec la chute du Mur de Berlin et l’annonce du « Nouvel Ordre mondial » par George Bush père en justification de l’invasion de l’Irak en 1991 (entre 150 et 300 000 morts). Le contre modèle du communisme disparaissant, la synthèse sociale démocrate se retrouvait seule face à la financiarisation et à la mondialisation économique la justification historique de son existence était également remise en cause. Mais je laisse le soin à la table ronde suivante d’aborder plus profondément la question européenne.
Ceci étant, il me paraît comme une évidence de faire une comparaison entre la perte, la destruction de ce pouvoir démocratique et la montée en puissance des pouvoirs de nature différente. Qu’ils soient technocratiques, économiques, financiers ou criminels. Cela s’accompagne par une brutalité croissante des rapports de forces et de l’ensemble des relations. La conséquence directe c’est la destruction des codes sociaux qui fondent le « vivre ensemble » et un accroissement des peurs pour l’immense majorité de la population. Cette brutalité croissante, notamment des marchés financiers dont la crise actuelle (qui n’est pas terminée comme le dit Madame Lagarde) en est la dernière illustration, n’est qu’un effet mécanique de ces phénomènes.
Il faut bien se rendre compte qu’aujourd’hui, tout ou presque repose sur les épaules du consommateur et des ménages américains.
En effet les taux d’intérêts restant faibles dans l’ensemble, le déficit extérieur américain évalué à plus de 800 milliards de dollars par an est financé en grande partie par l’injection massive de monnaie américaine qui reste la monnaie de référence internationale dans le système financier. On estime que la masse de numéraire en circulation progresserait de 18% par an, ce qui est colossal. En sous évaluant artificiellement sa monnaie, le yuan, avec des taux d’intérêt extrêmement bas, la Chine contribue en partie à favoriser ce phénomène. Un certain nombre de bulles spéculatives sont donc apparues comme les matières premières. Le pétrole dont l’envolée s’explique de deux raisons essentiellement : la spéculation et la sécurité des approvisionnements. La progression de l’indice des marchés boursiers des pays émergents : plus 250% depuis 2003, le prix des entreprises pour valoriser l’action et le capital des grands fonds d’investissement, et bien sûr l’immobilier.
L’immobilier est en réalité tout autant volatil et sujet aux bulles spéculatives sur les marchés que bon nombre d’autres valeurs. En moyenne, les prix mondiaux ont très fortement augmenté. La valeur d’un logement a progressé entre 1997 et 2006 de 100% aux Etats Unis d’Amérique, de 127% en France, de 192% au Royaume Uni, de 252% en Irlande, de 327% en Afrique du Sud…De tel chiffres ne peuvent que renforcer la ségrégation territoriale et rendre très difficile des politiques d’aménagement du territoire portées par les pouvoirs publics. Cette bulle est aujourd’hui mondiale.
Or l’immobilier continue d’avoir pour la croissance mondiale un rôle essentiel même dans l’économie d’aujourd’hui, notamment pour sa forte dimension psychologique. La valeur d’un bien élevé, renforcera la confiance des ménages et les incitera à consommer, ce qui favorise la croissance.
Ce système fonctionne à plein régime aux Etats Unis d’Amérique avec l’aide des banques et de la facilité de crédit qu’elles accordent notamment par le biais des crédits rechargeables, mais assortis d’ « une garantie immobilière ». La capacité d’emprunt est calculée sur la valeur des biens avant que ceux-ci ne soient remboursés. Quand le marché est orienté à la hausse c’est un puissant vecteur de consommation. C’est toute l’industrie qui profite de la bulle immobilière. Le résultat c’est que les ménages américains connaissent un taux d’endettement de 140% de leurs revenus annuels. En cas de renversement de tendance du marché, il est tout simplement impossible de procéder aux remboursements des dettes, c’est exactement ce qui est en train de se produire.
Les menaces qui pèsent sur le système sont importantes. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord l’opacité des marchés notamment liée aux manques de contrôle provoqués par la libéralisation et les gigantesques déplacements de masses d’argents. La recherche de profits immédiats à fort rendement déstabilise la marche des entreprises. De plus la masse des crédits n’est pas « titrisée », c'est-à-dire revendue en bourse par les banques par l’intermédiaire d’opérations complexes de division des titres toujours revendables mais en paquets de plus en plus risqués mais aussi de plus en plus rémunérateurs et ce sont notamment les fameux « hedge fund », les fonds d’investissements spéculatifs qui sont les plus intéressés par ces lignes de crédits parce qu’elles qui gagnent le plus d’argent en un minimum de temps avec ces titres adossés à des crédits immobiliers.
Les banques sont donc frappées de plein fouet par le retournement de tendance. Or cette possibilité de vendre des engagements sur le marché a entrainé une baisse de vigilance de la part des banques pour encaisser des opérations immédiatement rentables à peu de frais offrant de moins en moins de garanties et avec des clients à la solvabilité de plus en plus improbable. Elles ont perdu de vue leur fonction d’évaluation des risques et se sont lancées dans des opérations de mise à disposition de crédits de plus en plus douteux.
Aujourd’hui, le moteur de cette machine se situe dans la zone Pacifique. Depuis 15 ans, la Chine inonde le marché américain de ses produits à faible coût de production. Le niveau est tel que le déficit commercial des Etats Unis d’Amérique avec la Chine est de 200 milliards de dollars par an. Cela génère de tels besoins de transports que la construction navale a été massivement relancée. Ces excédents commerciaux alimentent en réserve de devises la Banque de Chine. Cette réserve est évaluée à ce jour à hauteur de 1000 milliards de dollars. Une bonne partie de cet argent repart aux Etats Unis d’Amérique où il est réinvesti ce qui permet de financer le déficit américain, en particulier par l’achat de bons du Trésor. Ces achats financent l’économie, soutiennent le dollar et font pression sur les taux d’intérêts ce qui favorise l’endettement des ménages américains et entraine la consommation de produits chinois qui font eux-mêmes pression sur les prix et les salaires de la main d’œuvre ce qui limite les risques d’inflation en période de croissance.
L’économie chinoise est elle-même susceptible de traverser de grandes difficultés. La fascination qu’exerce le marché chinois avec son taux de croissance à deux chiffres provoque des difficultés hallucinatoires pour bon nombre d’opérateurs. Les créances douteuses y seraient particulièrement élevées, c’est à dire les dettes bancaires qui n’ont que peu de chance d’être recouvrées pèseraient pour 30% du PIB chinois, certains banquiers vont même jusqu'à 40 voire 50% du PIB.
Or c’est dans cette mécanique que vient de se déclencher la crise de cet été et l’on peut parier sur de sérieuses difficultés à venir.
Les perspectives ne sont guère encourageantes.
D’un côté il y a accumulation de devises et surchauffe de la croissance s’appuyant sur un strict contrôle des changes. La gangrène peut gagner le système bancaire. L’une des solutions peut être dans l’évaluation du Yuan ce qui amoindrirait sa compétitivité sur le marché de l’argent et ralentirait les exportations en rendant au passage nos produits plus compétitifs. Mais les réserves chinoises diminueraient et cela ralentirait la capacité de celles-ci de financer le déficit américain ce qui peut entrainer une chute brutale du dollar corollaire de l’amoindrissement de l’épargne chinoise.
D’un autre côté monter les taux d’intérêts c’est porter atteinte à la capacité des ménages américains de poursuivre leur course folle dans l’endettement qui soutient la croissance américaine, les abaisser c’est contribuer à creuser un déficit extérieur déjà à 800 milliards de dollars.
L’immense déséquilibre entre la consommation d’une part et la capacité d’épargne d’autre part font courir au monde un risque de Krach majeur. La dette cumulée des ménages et de l’Etat américains est au moins de 2500 milliards de dollars. Les Etats Unis d’Amérique ne peuvent vivre avec un tel gouffre qu’à la condition de faire payer par les autres leur dette abyssale. Voilà le système dans lequel nous vivons.
Si on rajoute à cela la folie spéculative dont les entreprises sont les victimes entre autre par le biais des fusions-acquisitions pour le plus grand profit des actionnaires et pour payer les salaires de dirigeants et de golden boys richissimes (il faut lire le dernier livre d’Eric Reinhardt « Cendrillon »), il n’est pas difficile d’imaginer la taille du baril de poudre sur lequel nous sommes assis. D’autant plus que ceux qui en profitent et accumulent des fortunes énormes ne veulent pas que nous sachions que nous sommes assis sur le baril. Il faut entretenir l’illusion et l’irresponsabilité. Ce qu’il faut également avoir à l’esprit c'est ce que représente en disparition de richesse ces crises financières à répétition dont la litanie est reprise par Frédéric Lordon dans un remarquable article du dernier numéro du « Monde Diplomatique » (Septembre 2007). Cette crise actuelle est l’illustration quasi caricaturale de la libéralisation outrancière des marchés financiers, et de l’idéologie qui les portent. Privatisation, ouverture économique, abandon du contrôle des changes et des mouvements de capitaux…Voilà quelques uns des versets de l’action sainte du néolibéralisme.
Et malgré la catastrophe, la réalité n’affecte pas le dogme, parce que bien souvent c’est l’irresponsabilité qui prime, c’est la panique après l’euphorie et secrètement il est toujours espéré que les pertes seront « in fine socialisées et que les profits resteront privatisés ». L’Etat et la puissance publique retrouvent alors quelque intérêt.
Pour ce faire il n’y aura pas 36 solutions, il y aura inévitablement une contraction du crédit et c’est le consommateur, le salarié, le citoyen de base qui fera les frais et paiera l’addition sociale.
Face à cela que faire ?
Tout d’abord se mettre d’accord sur le constat et avoir clairement à l’esprit l’enjeu du défi auquel nous devons faire face. Cela veut dire selon moi :
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Penser global, penser mondial, international en s’appuyant sur la nation et la coopération entre les nations, coopération qui doit se concevoir à partir de l’égalité et la dignité des nations. L’enjeu est aussi démocratique.
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Bâtir les analyses et les outils qui nous permettrons de nous imposer dans la bataille idéologique et intellectuelle que la gauche vient de perdre.
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Seuls les peuples peuvent avoir la capacité politique de s’opposer à de tels systèmes et imposer de nouvelles règles du jeu. L’expérience de création d’une Banque du Sud regroupant la Bolivie, le Venezuela, le Brésil, l’Argentine, l’Equateur et le Paraguay visant à s’affranchir de la tutelle du FMI et de la Banque Mondiale est une piste d’avenir, tant il est indispensable de réformer ces institutions et d’y instaurer notamment le principe de responsabilité.
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Renouer avec la régulation et avec la création d’organismes internationaux et démocratiques de contrôle.
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Remettre à plat, en ce qui nous concerne, le fonctionnement de l’Euro et les objectifs monétaires et budgétaires de l’Union.
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Renouer et assumer la France. Parce que ne pas assumer la France, en réalité c’est renoncer à penser le monde. Les propositions d’Hubert Védrine dans le rapport qu’il vient de rédiger, vont dans le bon sens. La France doit être fidèle à ses valeurs et être offensive dans ses relations avec les Peuples.