Claude NICOLET

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quelles_prespectives_pour_la_gauche_franaisequelles_prespectives_pour_la_gauche_franaise_02Il convient de reconnaître que cette campagne des "Européennes" est particulièrement fade. Le désenchantement européen est manifeste et on peut le comprendre. Il suffit de prendre connaissance du dernier livre d'Olivier Ferrand "L'Europe contre l'Europe", président de la Fondation "Terra Nova" pour mesurer l'ampleur du désarroi des plus farouches partisans du fédéralisme européen. La crise produit ses effets. La France est en récession, nous perdons chaque jour des milliers d'emplois, l'INSEE sort un rapport (très confidentiel) sur les effets négatifs de la politique de "l'euro fort" sur notre économie. Les conflits sociaux et les licenciements se multiplient. Glaverbel et AGC à Boussois, Intissel à Wattrelos, Akebono à Arras, Doux à Graincourt-lès-Havrincourt, 3 Suisses à Croix, Noyon à Calais, Faurecia à Auchel, Arc Iternational à Arques, Borax à Coudekerque-Branche, Meca-Stamp à Hénin-Beaumont, Mittal à Dunkerque...Les quelques bonnes nouvelles (Aluminium Dunkerque) ne compensent pas les mauvaises.

 

Face au défi qui est devant nous, c'est l'ensemble du modèle idéologique dominant en Europe qu'il faut remettre en cause. Ce modèle qui avait fait consensus entre une partie de la gauche européenne, de la sociale démocratie, de la droite et de la démocratie chrétienne. Ce "compromis historique avec la droite est caduque" disent les socialistes français. Ils ont raison, mais il faut alors aller au bout de la logique du raisonnement et cesser de faire la promotion par exemple du traité de Lisbonne qui en reste l'illustration. Je mesure la difficulté d'une telle rupture, mais il faut s'interroger sur les outils intellectuels, politiques et démocratiques pour "penser" les temps nouveaux.

Or, la violence de la crise, remet à l'ordre du jour la question sociale avec une évidence qui crève les yeux. Comment y répondre? Voilà ce qui doit être la première des préoccupations de la gauche.

 Ce n'est pas en se préoccupant de la "concurrence libre et non faussée" qu'elle y répondra. C'est en s'interrogeant sur les mécanismes de régulation qu'il faut mettre en oeuvre au niveau national et européen, c'est en s'interrogeant sur le rôle de la Banque Centrale Européenne comme outil au service d'un projet politique et démocratique. Même Martin Wolf, éditorialiste économiste du très libéral "Financial Times",  déclare dans l'édition du 12 mai: "Cette crise non prévue est à coup sûr un désastre pour la politique monétaire. La plupart d'entre nous-j'étais du nombre- pensaient avoir découvert le Saint Graal (la lutte exclusive contre l'inflation dévolue à la BCE). Aujourd'hui, nous savons que c'était un mirage. C'est peut-être la dernière chance de la monnaie fiduciaire. Si l'on ne parvient pas à la faire fonctionner de manière satisfaisante, qui sait ce que nos enfants pourraient décider?" Ce qu'il y a de terrible dans ce constat, c'est que ce sont les libéraux qui organisent le débat sur leur propre échec! Et en même temps il révèle la crainte quant à la remise en cause de ce modèle.

Or c'est à la gauche de le faire. Bien sûr que c'est difficile puisqu'elle a en partie contribué à mettre en place ce système. Mais ce n'est pas en niant le problème qu'on le fera disparaître. Ce sera en défendant les services publics que l'on continue de dépecer et de livrer à l'espace marchand. Aujourd'hui les privatisations se poursuivent, les politiques de baisse des coûts du travail se poursuivent, ce qui contribue à renforcer la précarité et la pauvreté. Les délocalisations ne cessent pas y compris au sein de l'Union Européenne. La politique industrielle se mesure uniquement à l'aune de la compétitivité.

Voyons ce qui se passe au niveau mondial. La Chine vient de comprendre avec l'impact de la crise sur son modèle de croissance économique, combien elle était dépendante des exportations. Elle a compris qu'elle devait maintenant à tout prix développer son marché intérieur. En effet les campagnes chinoises restent pour beaucoup plongées dans le sous-développement. Le gouvernement chinois, sait que cela doit passer par un fort investissement de mesures sociales, il a donc décidé d'investir 93 milliards d'euros dans le système de santé et d'assurance maladie. Que fait Barak Obama aux Etats Unis d'Amérique: il veut étendre la protection sociale beaucoup plus largement en refondant le système d'assurance maladie, dans son fameux discours de Philadelphie (pendant la campagne électorale), il avait mis au coeur de sa réflexion la question des délocalisations, de la politique industrielle, de l'emploi.

Le grand retournement idéologique, celui qui met un terme à la domination de "l'Ecole de Chicago" et à la prééminence du néo-libéralisme, se fait sous nos yeux. Dans le monde occidental elle avait pris la forme la plus détestable qui soit dans l'alliance avec les néo-conservateurs américains. Or Tony Blair qui avait donné le sentiment de pouvoir incarner une "troisième voix" pour la sociale démocratie européenne, avait rejoint cet attelage notamment à l'occasion de la guerre contre l'Irak. En France, l'élection de Nicolas Sarkozy avait renforcé cette emprise et donnait un air de triomphe et de revanche aux partisans du néo-libéralisme dont le symbole restera la soirée au Fouquet's. Mais la crise, la force du peuple américain et le talent de Barak Obama donnent une nouvelle orientation au cours de l'histoire. La droite française, globalement unifiée au sein de l'UMP, ainsi que Forza Italia en Italie par exemple, comprennent ce retournement et s'y adaptent avec le talent du caméléon. Elles savent surtout que dans cette période de troubles sociaux, la demande d'ordre est importante. Ces droites y répondent et renforcent leur emprise sur la société et le mouvement social. Car il n'est pas question pour elles de renoncer en quoi que ce soit aux immenses avantages acquis par les privilégiés grâce à 30 ans de politiques en leur faveur: liberté des mouvements de capitaux, compétitivité fiscale, politique en faveur de la rente et du capital contre les revenus du travail, concurrence acharnée des mains d'oeuvre au niveau mondial...C'est bien une politique de classe, au service de la rente financière qu'il faut maintenir.

Une perspective ne peut donc s'inscrire que dans une analyse sérieuse de cette situation et de la mondialisation financière. La gauche dans son ensemble en aura t'elle la capacité en commençant par mettre fin à son éparpillement? Car le seul phénomène visible aujourd'hui est celui de sa division. Si ce phénomène se poursuit, elle deviendra bientôt inutile aux yeux des Français. Alors elle ne sera plus qu'une force résiduelle.

En revanche si elle trouve en elle même les moyens de se rassembler et de parler au peuple de ses difficultés, en parlant de la réalité du monde, en osant aborder de front ses responsabilités, elle pourra se mettre dans la situation de gagner et de reprendre le pouvoir. Car c'est bien de cela dont il s'agit.

Cela passe donc par la réinterrogation critique du projet européen qui a piégé la gauche. Cela passe par la réinterrogation par la gauche de sa relation avec la France et la Nation républicaine comme levier à l'échelle du monde au service de l'émancipation des peuples. Cela passe par la réinterrogation de la question sociale au service de la justice.

Vaste programme, mais nous devons penser à l'échelle de l'histoire et pas uniquement d'une élection. Cela s'appelle une refondation