Le Premier ministre s'est livré, devant son Gouvernement et devant la presse, à un exercice qu'il a intitulé "le moment de vérité."
Voilà qui ne manque ni d'allure ni d'une certaine forme de panache, lui qui est notamment le biographe de Henri IV.
Mais la vérité, toute la vérité, peut-elle être dite ?
Il ne fut pas mauvais sur la forme. Quelques vérités et de la clarté dans l'expression, de la précision sur quelques exemples et de l'habileté, voire de la rouerie quant à la proposition de supprimer deux jours fériés.
Tous ou presque s'emparent de cet os à ronger comme s'il s'agissait de l'essentiel.
Tout dans son diagnostic n'est pas faux, il serait démagogique de prétendre le contraire. Mais il faut aller au bout de la démarche.
Or la question du temps de travail par exemple, ne peut être évoquée sans aborder la retraite, les 35 heures, la productivité, la réindustrialisation...vaste chantier. Mais passons.
S'il faut dire la vérité, et il faut la dire, alors il faut faire l'analyse des politiques menées depuis ces 40 voire 50 dernières années.
Il faut interroger les choix qui furent faits, en particulier au niveau européen et faire le bilan des "transferts de compétences" (commerce extérieur, industrie, monnaie, énergie, politiques budgétaires, immigration...), qui furent en réalité des transferts de souveraineté au profit d'une technostructure idéologiquement dominée par l'empreinte néolibérale.
Les choix des années 70 et surtout 80 de la "spécialisation" par zones géographiques eurent des conséquences dramatiques notamment pour l'industrie française qui fût liquidée purement et simplement au profit de l'Allemagne.
Sans parler de l'énergie qui d'un fiasco sans nom peut devenir une véritable tragédie. Pourquoi ne pas évoquer tout cela ?
Annoncer comme un slogan "en avant la production" est certes louable et même urgentissime, mais cela ne suffira pas si dans le même temps, notre relation à l'union européenne, les principes et politiques qu'elle met en œuvre, ne sont pas interrogés dans leur nature même.
Dans le cas contraire, se sont les mêmes recettes, les mêmes purges, les mêmes sacrifices qui seront une fois de plus demandés aux mêmes. Et à l'injustice se rajoutera le sentiment d'un mépris plus grand encore.
Or de quoi s'agit-il ? Quelles conséquences pour une nation comme la nôtre de se voir dépossédée jour après jour de sa souveraineté et d'assister jour après jour à la désarticulation de la question sociale et de la question nationale, alors que cette dialectique est au cœur du pacte républicain donc de la démocratie, donc de notre identité politique ?
Une chose simple et redoutable : la montée inexorable des tensions de toutes natures. Les replis identitaires, confessionnels, ethniques.
Conséquences de l'effondrement de l'Etat, de son prestige, donc de son autorité. Mécaniquement, notre peuple, qui est un peuple politique se désunit, se fragmente et la nation n'intègre plus car sa capacité à attirer ne fonctionne, concurrencée dans son principe même par d'autres modèles comme l'islamisme politique et radical qui pousse les feux. Nous connaissons l'issue de ce chemin fatal, la guerre civile ou la fragmentation du pays en nouvelles féodalités (ethno-religieuses ou criminelles), qui étoufferont puis tueront l'idéal républicain.
Aidé en cela par tous ceux à l'intérieur, nombreux, qui haïssent la France trouvant également d'innombrables soutiens auprès de puissances étrangères, trop heureuses de pouvoir enfin régler son compte à notre pays, berceau de l'universalisme républicain.
Le Premier ministre a fondamentalement raison quand il déclare "qu'en fin de compte, on ne peut compter que sur nous-mêmes". Mais voilà plus de 40 ans que l'idée même de souveraineté (fondement de notre liberté) est systématiquement remise en cause, voire méthodiquement démantèlée par quasiment tous ceux qui aujourd'hui n'ont plus que leurs yeux pour pleurer sur notre défunte capacité à agir par nous même. Ce n'est pas faute d'avoir mis en garde...Les avertissements de Jean-Pierre Chevènement, de Philippe Séguin furent accueillis à l'époque du traité de Maastricht (déjà près de 35 ans) avec toute la condescendance et le mépris (et elle n'en manque pas), de la quasi intégralité de la classe politique dominatrice et aveuglée par son arrogante certitude dans la croyance du mythe mortifère de la fin de l'histoire et de la nation.
La France restait au mieux notre patrie mais l'Europe était notre avenir nous disait François Mitterrand. Plus de trois décennies se sont écoulées et l'union européenne n'est plus qu'un monstre bureaucratique, fabricant des normes qu'on essaie de nous faire prendre pour étant la forme moderne de la démocratie. Les nations s'y assèchent, les imaginaires se crispent, les tensions s'y exacerbent, l'avenir s'assombrit.
Il faut donc aller au bout du raisonnement et remettre en cause les choix qui nous ont été imposés. Faut-il encore rappeler le contournement du vote du peuple français du 29 mai 2005 que cette magnifique photo de François Hollande et de Nicolas Sarkozy symbolise ?
Cela sous entendrait que nos "élites" en soient vraiment. Quelles aient le sens de l'intérêt général, c'est à dire celui de l'Etat.
Que les vraies questions soient posées afin que la France retrouve la capacité de reprendre en main le cours de son destin.
Ce chemin exigeant est le seul possible. Il sous entend du courage, de la détermination...et du temps.
Rien ne semble l'indiquer.