Claude NICOLET

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TER-GVUn slogan, plus qu'une phrase ou alors une proposition, vient de faire son apparition: "Un TER-GV Dunkerque-Lille toutes les heures?" Il convient d'en faire l'analyse car elle part d'un certain nombre de postulats qu'il convient également d'analyser.

Tout d'abord celle du déclin de Dunkerque symbolisé par ses pertes démographiques qui seraient liées aux mauvais choix de développement économique de la municipalité misant tout sur l'industrie et en particulier l'industrie dangereuse (type SEVESO). C'est une façon de voir très partielle voire partiale. Si le plus gros Data Center d'Europe est venue s'installer à Gravelines c'est parce qu'il y a la centrale nucléaire, dont les travaux de grand carénage vont permettre l'investissement de 5 à 7 milliards d'euro sur le territoire. Le procès fait au terminal méthanier n'est pas très honnête intellectuellement parlant. Certes nous souhaiterions que plus d'entreprises françaises décrochent les marchés. Mais on ne peut faire l'impasse sur les appels d'offres européens. Peut-être en d'autres temps fallait-il avoir une vision plus "critique" de la construction européenne plutôt que d'en déplorer les effets aujourd'hui. Mais c'est également faire l'impasse sur les immenses possibilités de diversification de notre tissu industriel que justement le terminal méthanier porte en lui! L'industrie du froid concerne ce qu'il y a de plus performant et nous permettra de nous adresser au hight tech: Aéronautique, armement, aérospatial, agroalimentaire...

C'est là tout d'abord méconnaître l'histoire de Dunkerque et en particulier son histoire économique, sociale et politique. Le destin de Dunkerque ne lui appartient pas totalement. On peut même penser que Dunkerque a un destin hors norme. Batailles, destructions, guerres, anéantissements...Nous avons toujours été un enjeu formidable, à la croisée des chemins et de l'histoire qui est souvent venue se fracasser chez nous. Aujourd'hui nous sommes au coeur de la bataille de la mondialisation dont l'enjeu pour nous est de sauver notre tissu industriel et bien sûr de le diversifier.


Pour cette raison, Dunkerque ne peut se satisfaire d'une vision étriquée de son avenir et d'un maire dont le discours ressemblerait à celui d'un candidat d'un village de 350 habitants "sans étiquette". Si Dunkerque est aux Dunkerquois c'est à dire à celles et ceux qui y vivent, elle est aussi à la France. Notre appareil productif en est la preuve et l'illustration. Centrale nucléaire, appareil portuaire, Usinor (à l'époque)...La volonté de l'Etat, de la Nation est ici omniprésente dans sa volonté d'être une grande puissance industrielle. C'est pour cette raison que nous sommes une terre de géants et d'aventure car Dunkerque a été taillée à l'échelle du monde! C'est cela qu'il faut comprendre et c'est de cette ambition la dont il faut être animé. C'est la nôtre! Le repli sur nous même, le renoncement ou la faiblesse de vouloir se placer dans l'orbite de tel ou tel, c'est un véritable contre-sens à notre histoire et à ce que nous sommes fondamentalement!

La puissance de Dunkerque a depuis des siècles, été constituée par trois acteurs majeurs. Le pouvoir municipal, le pouvoir économique et l'Etat. C'est pour cette raison qu'il y a depuis très longtemps une relation étroite entre la mairie et la chambre de commerce, crée par Louis XIV. A tel point que pendant l'occupation, ce sont les cadres de la chambre de commerce de Dunkerque qui ont été nommés aux commandes de ce qui restait de la Ville. C'est cette "alliance" qui a notamment marqué de son empreinte si particulière la nature du dialogue social tel qu'il existe sur notre territoire et notre identité. Ville flamande mais d'abord française et patriote. "Jean Bart, Jean Bart, la voix de la patrie, Redit ta gloire et ton nom immortel". Nous dit la cantate, ce n'est pas pour rien!

C'est lié à l'importance de la présence de l'Etat et de l'enjeu stratégique que représente depuis toujours cette entrée/sortie de la Mer du Nord. Enjeux maritimes et militaires, enjeux économiques. Si j'aime bien les villages, Dunkerque n'en est pas un! Et la question politique y est essentielle, elle est même déterminante. Refuser de voir cela c'est refuser de voir ou de comprendre la réalité des choses et surtout des évènements auxquels nous sommes confrontés. C'est également pour cette raison que sur notre territoire, le fonctionnement des pouvoirs a toujours été l'objet de très subtils équilibres. Or la fusion des chambres de commerces et la disparition de la CCI de Dunkerque en tant que telle a en réalité déstabiliser cette situation. C'est désormais au niveau de la Côte d'Opale puis de la Région qu'il faut raisonner. Ce qu'il faut également c'est restaurer cet équilibre avec les acteurs économiques de notre territoire car eux aussi ont été bousculés.

La question n'est donc pas de renouer un dialogue avec Lille et sa métropole qui aurait été rompu. En réalité il n'a jamais disparu. Pour preuve le travail remarquable entre le Grand Port Maritime de Dunkerque et le Port fluvial de Lille via "la navette". Mais bel et bien de rétablir d'abord un fonctionnement territorial économique et politique et ensuite de s'intégrer dans ce nouvel environnement qui est celui de la Côte d'Opale et celui de la Région. Ce travail demande de la subtilité et de la délicatesse. En particulier avec la métropole lilloise confrontée elle aussi à une grave crise du tertiaire (La Redoute) et dans le maintien de ses laboratoires de recherches en R et D parce qu'une partie de son industrie est partie.

Il suffit pour s'en persuader de regarder les flux d'échanges avec nos territoires voisins. Principalement la métropole lilloise et le Calaisis. Les contacts sont donc quotidiens et nombreux. A l'heure de l'électrification de la ligne SNCF Dunkerque-Calais, de la création du nouveau port "Calais 2015" qui représente 650 millions d'euros d'investissements, avec le concours, certes modeste du GPMD, mais essentiel, avec la perspective de l'arrivée du Canal Seine Nord (4,5 milliards d'euro), à l'heure de l'organisation stratégique par la Région Nord Pas de Calais de sa façade littorale qu'elle considère comme étant le territoire qui lui permettra de se transfigurer et de redevenir "une porte du monde"; la question n'est pas de se tourner vers Lille, nous le sommes déjà, mais de nous organiser pour créer les synergies indispensables pour faire de la Région et de la Côte d'Opale le moteur au coeur de la troisième région au plus fort pouvoir d'achat au monde après New-York et Tokyo et la première en Europe. Voilà les vrais enjeux! Et Dunkerque est au centre de ces enjeux!

Pour le reste, peut-on imaginer le Président de Région, actuel ou futur, trembler à la perspective d'inscrire ou non dans son programme: un TER-GV toutes les heures pour Dunkerque? Bien sûr que non. Et puis c'est comme le bus gratuit pour les Dunkerquois: et les autres? Les boulonnais, les calaisiens, le cambrésis, le Bassin minier? Car le Président de Région n'est pas le Président des Dunkerquois. Il est Président d'une collectivité qui représente 4 millions d'habitants et c'est là que se définit pour lui l'intérêt général.

Et puis soyons inélégant, parlons argent. Dix millions d'euros par ans (pour prendre le chiffre qu'on nous donne), ce ne serait rien par rapport aux trente-cinq de l'ARENA. Ce n’est pas sérieux comme calcul. Tout d'abord l'ARENA ce serait une fois pour toute. LE TER-GV se serait chaque année soit 60 millions d'euros sur un mandat! Qu'en pensera le contribuable dunkerquois régional? Et surtout les autres?

Par ailleurs, nous allons entrer en pleine négociation avec la SNCF pour négocier la nouvelle convention qui va lier l'entreprise publique à la Région. Le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est pas encore fait. Alors que la Région se bat bec et ongle contre la SNCF pour maintenir les arrêts TGV à Calais Frethun, à Boulogne, à Arras. Que nous avons entamés le bras de fer sur la tarification Paris-Lille et la suppression de rame sur TGV Nord pour les mettre sur le TGV Est, alors que la SNCF et RFF cumulent une dette de 40 milliards d'euros, la Région, elle, verse déjà 250 millions d'euros par an et comme chacun sait les dotations sont plutôt à la baisse. Pour faire rouler les TER-GV, nous avons acheté les rames. Il n'est absolument pas prévu de faire de nouveaux achats de ce type. Dire "y a qu'à faut qu'on" n'a jamais constituer une politique, encore moins un projet.

Et pour terminer, comment peut-on faire croire un seul instant à nos concitoyens que l'on peut revoir les cadencements à notre guise sur le trajet Dunkerque-Lille? Nous venons de terminer l'année passée un énorme travail avec la SNCF et RFF pour revoir tout le cadencement de l'ensemble de la Région. Dunkerque a d'ailleurs été très bien défendu par les conseillers régionaux du littoral. Car un décalage ici à d'énormes conséquences partout ailleurs, sur l'ensemble du réseau national. Allons, il faut un minimum de sérieux quand on fait de pareilles annonces.

Claude NICOLET
Adjoint au maire de Dunkerque
Conseiller régional Nord Pas de Calais
Vice-président de la commission Transports