Ma dernière tribune parue ce jour 29 mai 2015, sur le site du FigaroVox.
Le 29 mai 2005, le peuple français votait « NON » à 55% au référendum sur le Traité Constitutionnel européen. Toutes celles et ceux qui vécurent ce moment, cette campagne, s’en souviennent. Moments intenses, militantisme exemplaire, intelligence collective, débats passionnants, soif de connaître et de comprendre de la part de nos concitoyens qui venaient massivement dans les réunions publiques, les meetings, les rencontres…Cette campagne fut un très grand moment démocratique et la démonstration de la vitalité politique de notre pays. Plus de 70% de taux de participation!
Stupeur, panique, incompréhension de la part de l’ensemble des « élites » qui avaient quasiment toutes fait campagne pour le « OUI ». On se souvient encore de certains, s’excusant le lendemain à Bruxelles du vote du peuple français. Quel symbole.
En votant NON, les Français donnaient un gigantesque coup d’épaule dans une porte fermée depuis plus de vingt ans et rouvraient la voie de l’espérance, celle de la République. Ce vote doit également être compris comme la « réplique » du tremblement de terre politique que fut l’élection présidentielle de 2002 et l’élimination dès le premier tour, de Lionel Jospin le 21 avril au soir. L’expérience de la « gauche plurielle » se terminait en fiasco, faute d'avoir su transformer une alliance électorale en projet stratégique pour le pays.
La réponse politique de Jacques Chirac ne fut pas à la hauteur de la situation et de l’occasion historique qui se présentait à lui. Les conditions d’un rassemblement national étaient possibles, l’hypothèse en fut brièvement évoquée dans les couloirs de l’Elysée, mais il n’y eu aucune suite. Les contradictions politiques, ontologiques, entre la construction européenne d’inspiration fédérale et néo-libérale et l’exercice de la souveraineté nationale indispensable à la réalisation de la promesse républicaine, étaient déjà patentes et apparaissaient au grand jour. Il fallait alors « sauver la République » du FN (celui du père), alors que ce dernier n’était (et n’est toujours) que le révélateur de cette contradiction fondamentale.
Tournant libéral de 1983, traité de Maastricht de 1992, 1er tour des présidentielles du 21 avril 2002, NON à la constitution européenne du 29 mai 2005, on ne peut qu’être frappé par la proximité de dates qui ne doivent rien au hasard. Il y a un lien étroit entre ces évènements et la situation politique actuelle qui voit la progression apparemment inexorable du Front National qui lui, en revanche a fait cette analyse politique.
La porte ouverte à grand fracas le 29 mai 2005, a été brutalement refermée sous la pression de toutes les oligarchies, de la vaste coalition des intérêts divers et variés, par une majorité de parlementaires dès 2008 avec l’approbation du traité de Lisbonne.
Depuis, nous sommes dans l’impasse. Impasse politique, impasse historique, impasse économique, impasse sociale, impasse culturelle.
Et comme le Peuple n’accepte pas que sa souveraineté soit bafouée, il se rappelle au bon souvenir de ceux qui l’ont trahi et le font souffrir. Il se venge en s’abstenant ou en votant FN. Il faut donc rouvrir la porte et lancer un appel aux Républicains sur des bases politiques claires et travailler aux conditions du rassemblement.
L’immense défi auquel nous sommes aujourd’hui confrontés est d’aller au-delà de nous-même et de nos appartenances respectives. Le vote en Grèce doit nous interroger. Les choix politiques et les alliances qui sont faites (entre Syrisa et les Grecs indépendants), doivent nous questionner. Tout indique que cette alliance repose sur une volonté politique structurante qui pose comme préalable stratégique, que la reconquête de la souveraineté nationale grecque et de la dignité du peuple est intrinsèquement liée à la possibilité pour ce même peuple de reprendre le chemin du progrès social.
Ce que Syrisa et les Grecs indépendants sont en train de faire sous nos yeux, c’est de procéder à un véritable renversement copernicien, ils signent le grand retour des Nations et des peuples en tant qu’acteur politique de leur propre destin. Autrement dit, cette alliance est un véritable tournant historique et politique. Le nouveau gouvernement grec dit tout simplement qu’il veut réécrire les règles du jeu et que cela doit se faire à partir de la volonté du peuple pour lequel les nouveaux dirigeants sont « prêts à verser leur sang. » Même le vocabulaire est nouveau. Et il doit l’être pour penser différemment. Dès lors, le problème grec est surtout européen et ne saurait être circonscrit à ce seul pays.
Aujourd’hui, la France aussi cherche son chemin. Parce qu’aujourd’hui, c’est la question même de la République qui est posée. République à laquelle les Français sont profondément attachés, ils l’ont démontré lors des marches des 10 et 11 janvier derniers. Mais la République pour quoi faire ?
Permettre à la France de reprendre sa marche en avant, comme l’ont demandé les Français le 29 mai 2005.
Nous devons donc faire l’analyse de ces dix ans écoulés.
Aujourd’hui, est-il possible de réunir les conditions politiques indispensables à la réussite d’un tel rassemblement d’intérêt national qui soit en capacité de proposer un projet pour la France ?
Il faut cependant regarder les choses telles qu’elles sont et telles qu’elles furent. Il faut rappeler que ce qui a permis la victoire du NON, s’est rapidement délité. Laurent Fabius qui a su prendre le risque du rejet du TCE, n’a finalement pas franchi le pas, qui, d’homme politique en aurait fait un homme d’Etat. Ce jour- là, il a refusé le rendez-vous que lui fixait le destin. En refusant de s’engager sur un chemin nouveau à partir du NON (auquel il faut rappeler que 60% des électeurs de sensibilité socialiste avaient apportés leurs suffrages), il amoindrissait considérablement la perspective politique qui pouvait en surgir.
La réponse du PCF, qui sortait de la période où il était dirigé par Robert Hue (1996-2003), alors, ne permit pas d’aller très loin. La stratégie « bouge l’Europe » du PCF de l’époque mettait un terme à toute perspective réelle de refondation de la gauche sur une base républicaine solide, d’autant plus que Marie Georges Buffet et le PCF venaient de s’effondrer à l’occasion des élections présidentielles de 2002 en faisant à peine plus de 3% des voix.
Il faut également constater que du NON de droite en 2005, personne ne s’est levé pour s’engager dans ce combat, difficile, ardu mais seul porteur d’espoir de travail à un rassemblement de Salut Public. Tout comme Philippe Seguin n’avait pas donné de suite à la perspective du rassemblement des « Républicains des deux rives » après les résultats du Traité de Maastricht et la création du Mouvement des Citoyens en 1992, lors de notre rupture avec le Parti socialiste.
Enfin, ces conditions ont rendu possible « l’accord » entre François Hollande, alors premier secrétaire d’un PS se remettant difficilement du 21 avril 2002 et du départ de Lionel Jospin, et Nicolas Sarkozy, Président de la République qui décide de convoquer le congrès à Versailles pour ratifier le Traité de Lisbonne, qui n’est qu’une nouvelle version du TCE.
Devant ces quelques constats, des perspectives et des recompositions sont-elles envisageables ?
Nous pensons que oui :
-A partir de la souveraineté nationale et populaire.
-A partir de l’articulation de la question sociale et de la question nationale.
-A partir de la redéfinition de notre rapport et de notre relation à la construction européenne dans son ensemble y compris dans sa dimension monétaire (Faut-il sauver l’euro ? Faut-il sortir de l’euro ? Faut-il passer de la monnaie unique à la monnaie commune ? Que faire de la perspective fédérale européenne ?).
-A partir de l’analyse critique des structures internationales dans lesquelles nous sommes bien souvent enfermés. Notre place dans l’OTAN, la nature des traités en cours (TAFTA-TISA…), nos grandes orientions stratégiques, militaires et diplomatiques. Avoir un positionnement clair sur ce que nous pensons être aujourd’hui la nature de la construction européenne.
-Dès lors nous devons nous interroger sur les moyens à nous donner pour impliquer les citoyens dans la vie politique et interroger notre fonctionnement démocratique. Cela passe aussi bien par notre propre organisation que sur le fonctionnement institutionnel du pays.
D’autant plus que les Français, sont confrontés, pour les plus modestes d’entre nous, à la concurrence « libre et non faussée » ainsi qu’au travail détaché qui commence à provoquer de véritables ravages, notamment chez les ouvriers, les artisans, certains commerçants, le BTP et les PME-PMI. Ils sont soumis à une pression de plus en plus grande, en ayant le sentiment d’être livrés à eux-mêmes alors que l’ensemble des structures collectives et de solidarités s’effondrent autour d’eux. Pour beaucoup, la vie quotidienne, si elle n’était pas facile autorisait une projection pour soi-même et la famille vers un avenir meilleur; aujourd’hui, simplement conserver ce qu’on a, devient un luxe pour bon nombre de Français.
Il n’empêche que les Français et la Nation sont taraudés par des questions et des angoisses identitaires, culturelles et sociales qui sont réelles. Il faut impérativement se saisir de ces préoccupations qui deviennent majeures. Ce sentiment d’insécurité culturelle, décrit par Laurent Bouvet, est très étroitement articulé à l’impression que l’ensemble des « élites », les méprisent profondément, que ces mêmes élites ne croient plus ni à la Nation ni à la République.
Or le peuple français ne peut se penser sans une projection de lui-même en direction de « l’universel ». Ce point déterminant est-il toujours d’actualité ? Autrement dit la France et le peuple français ont-ils toujours un rôle historique à jouer dans le monde ou sommes-nous sortis de l’histoire pour reprendre la question de Jean-Pierre Chevènement ?
A l’image du Rassemblement qui a présidé à l’élaboration du programme du Conseil National de la Résistance, il doit être sans exclusive républicaine. Il s’adresse d'abord à la gauche, mais pas uniquement. Il doit aller au-delà, sur des bases républicaines, sociales, patriotiques et internationalistes. Nous devons donc rencontrer et ouvrir un large débat, devant les Français avec celles et ceux qui seraient d’accords pour entamer la discussion sur ces bases politiques, sans préjuger de son résultat immédiat.
Alors prenons les initiatives courageuses susceptibles, dans le cadre d’une volonté de rassemblement, s’appuyant sur le parcours politique de celles et ceux qui, de Maastricht au référendum de 2005, eurent une vision critique de la construction européenne, mais aussi en tenant compte des conséquences de la crise de 2008, de proposer un choix aux Français digne de notre pays.
Claude NICOLET
Premier secrétaire du MRC Nord
Secrétaire national chargé de la Citoyenneté et de la Laïcité
Conseiller régional Nord Pas de Calais