Claude NICOLET

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FigaroVox

Ma dernière tribune parue sur le site du FigaroVox ce mardi 28 juin 2016. 

Le vote qui vient d’avoir lieu au Royaume-Uni, est, on peut le dire historique. Ce 23 juin, un membre de l’Union européenne, a souverainement décidé de quitter cet organisme auquel il appartenait depuis quarante trois ans. 

Il est incontestable que la relation entre le Royaume Uni et l’Union européenne a toujours été « particulière », mais il est tout aussi certain que ce vote s’inscrit désormais dans un mouvement de défiance de longue durée envers les institutions européennes d’une part et les conséquences de la globalisation financière sur nos vies quotidiennes d’autre part.

Le peuple britannique et il faut le féliciter, a eu le courage de rompre le charme dans lequel on tenait à toute force à nous maintenir, en faisant de l’Union européenne un invariant moral au service du « bien » contre le « mal » , au service de la Paix éternelle. Le vote du 23 juin 2016 a brisé la sainte alliance à laquelle nous demandait de croire le clergé européiste chargé d’en annoncer la nouvelle aux peuples à convertir en permanence.

Ce ne sont pourtant pas les avertissements qui ont manqué…

-Vote du Traité de Maastricht en 1992 au Danemark rejeté par 51,70% des électeurs qui furent contraint de revoter.
-Vote de l’Irlande en 2000 sur le Traité de Nice, rejeté par 53,90% des électeurs qui furent obligés de revoter.
-Vote du 29 mai 2005 en France et aux Pays Bas sur le Traité constitutionnel européen qui fut rejeté par 54,90% et 61,50% des électeurs. Et qui fut imposé par le Traité de Lisbonne.
-Vote du plan de redressement en Grèce en 2015 qui fut rejeté par 61,30% des électeurs.

Il faut dire que nos compatriotes ainsi que l’ensemble des citoyens des pays membres, ont bien compris le lien qui existait entre construction européenne et globalisation financière qui repose essentiellement sur la rentabilité de l’actionnariat, donc sur une économie prédatrice et destructrice de richesse, d’emploi, de protection sociale et de modèle de société (historique et culturelle).

Les citoyens d’Europe cherchent donc, de diverses manières et en fonction de leur génie propre, à se réapproprier la maîtrise de leur destin qui ne peut s’exercer que par l’intermédiaire des souverainetés qu’ils ont réussi à forger au cour de l’histoire au sein des différentes nations qui composent le continent européen.

Penser l’Europe en dehors des nations qui l’a constitue, avec pour projet de s’affranchir des souverainetés qui ne sont que la traduction de la volonté de chaque peuple de tracer son propre chemin vers la liberté, est non seulement une faute majeure, mais traduit également une incompréhension de ce qui fonde une communauté humaine qui souhaite inscrire sa destinée dans l’histoire.

Il n’est donc pas surprenant de constater à quel point, les « européistes » convaincus s’affranchissent des votes qui ne leur conviennent pas. Il est même effrayant de voir à quel point dans beaucoup de ces milieux, le vote censitaire, la légitimité des « experts », l’interrogation sur la légitimité du suffrage universel ont fait des progrès considérables comme possibilité de mode de « gouvernance raisonnable. »

Ce mépris du peuple, ce mépris des peuples sont des réalités sociales qui s’inscrivent en toutes lettres dans nos journaux chaque jour. Qu’on peut entendre à la télévision, à la radio, dans de nombreux discours, dans d’innombrables chroniques…Ces prises de positions étant de plus en plus violentes au fur et à mesure que celles et ceux qui sont censés définir la pensée dominante, perdent chaque jour davantage la légitimité dont ils s’estiment investis.

Le fameux effet de « sidération » en est une autre illustration, tout comme la campagne de culpabilisation à laquelle on assiste sans compter cette incroyable réclamation quant à la tenue d’un nouveau référendum. Incontestablement, en dehors de toutes les fractures politiques, sociales, culturelles, territoriales que la globalisation financière a mise en oeuvre; une nouvelle classe sociale se considère comme investie d’une légitimité « naturelle » à exercer le pouvoir. Son terrain de jeu c’est le monde connecté et numérisé, un « espace fluide » déterritorialisé auquel l’immense majorité des citoyens est étranger. Il est clair que face à de tels phénomènes à l’œuvre, une notion comme celle d’Egalité est un obstacle qu’il faut détruire ou lui trouver des avatars dont l’objet est d’illusionner ceux qui ne peuvent y prétendre.

Deux traductions très concrètes de ce grand renversement. La première c’est la volonté de transférer la souveraineté nationale et populaire, donc la fabrication du politique, la fabrication du commun à partir de l’imaginaire de chaque peuple, vers le droit des affaires et le droit du commerce. Le TAFTA (ou ce qu’on en sait) en est l’illustration avec sa volonté de subordonner le droit national à celui des affaires. Autrement dit la souveraineté passerait du peuple aux conseils d’administration des multinationales. La seconde, traduction logique dans le droit du travail et les affaires sociales, la fameuse « inversion des normes » et la subordination des accords de branches à celui de l’entreprise avec le référendum interne face à des salariés pour lesquels le rapport de force social, institutionnel et politique sera totalement disproportionné.

L’Union européenne s’étant faite le relai zélé de ces politiques néo-libérales en grande partie issue de la révolution néo-conservatrice de l’école de Chicago, elle se retrouve en contradiction totale avec ses objectifs officiellement affichés et qu’on ne cesse de nous vanter à chaque élection européenne ou référendum. On connait la liturgie « la Paix, l’emploi, la croissance, la stabilité, la protection sociale, la sécurité… » Mais l’expérience de l’immense majorité des européens est toute différente et pour beaucoup il faut comprendre le contraire de ce qu’on leur annonce. Il est évident qu’une telle situation ne peut durer.

Le grand retour des Nations, l’affirmation des souverainetés nationales et populaires doivent donc être compris non seulement comme une réaction, mais surtout comme une volonté de reconquête de la maitrise de son propre destin, base de la liberté des nations, garantie des possibilités d’émancipation individuelles et collectives. Car la réalité est là, incontournable. Nombreux étaient ceux qui pensaient que « via » la construction européenne, ils allaient pouvoir se débarrasser de deux questions essentielles qui les empoisonnent : la question nationale et la question sociale. Si la France restait notre patrie, l’Europe devait être notre avenir car le nationalisme c’est la guerre. Elle devait nous protéger contre ce monstre qui nous a coûté si cher dans le passé.

Mais cette pirouette intellectuelle a surtout produit comme grave inconvénient d’interdire toute pensée politique sérieuse sur la question nationale, la souveraineté et leur articulation avec la question sociale. Car elles sont étroitement liées. Ce faisant se sont des pans entiers de l’électorat populaire qui furent abandonnés de fait à l’extrême droite à laquelle ces thématiques furent laissées. Pendant quasiment trente ans, tenir un discours ou tenter d’avoir une réflexion sur la Nation, la souveraineté, l’identité de la France et leurs relations avec la question sociale, et vous sentiez immédiatement le souffre de l’enfer politique. Encore aujourd’hui, la simple utilisation de certains mots vous assure automatiquement une quasi taxation d'appartenance à l’extrême droite, ou au mieux on vous qualifie de « populiste » comme on prononce une excommunication.

Derrière cela se joue également la question institutionnelle de l’Union européenne. Face à la crise majeure qui peut la faire sombrer, il nous faut sauver les idées de fraternité entre les Peuples, de coopération internationale, d’Egalité et d’un ensemble de valeurs universelles que nous portons.

Mais nous ne pouvons le faire sans interroger ce qu’est aujourd’hui la nature des institutions européennes. Jean Monnet qui voulait à toute force construire l'Europe sous parapluie américain pour s’affranchir des nations et qui en fut le grand inspirateur, se voit finalement condamner à titre posthume par celles-là même dont il espérait se séparer. C’est la revanche des Nations qui montrent leur grande capacité de résilience.

Or ces institutions ne sont tout simplement pas génétiquement programmées pour être en phase avec ces temps nouveaux. Pensées à partir de l’entre-deux guerres, formatées pour correspondre à la Guerre froide dans le contexte de l’adversaire, voire de l’ennemi communiste, ces institutions sont en réalité obsolètes et nous entravent.
La politique de la concurrence, le fonctionnement de l’Euro, la BCE, la Cour européenne de Justice, la Commission, l’irresponsabilité politique, un Parlement élu avec des taux d’abstention sans cesse plus élevés élections après élections, cette construction idéologique ne peut tout simplement plus faire face structurellement aux temps qui viennent.

Le Brexit est probablement la dernière possibilité de sauver ce qui peut l’être encore. Au prix d’un renversement complet de la façon de voir les choses et surtout de les comprendre. 

Claude NICOLET
Secrétaire général adjoint de République Moderne