Claude NICOLET

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Ma dernière tribune parue dans le magazine Marianne le 14 septembre 2021.

L'élection présidentielle approche. Un mandat de cinq s'achève. Il devait être celui du nouveau monde, du renouveau, de la gauche et de la droite en même temps, mais surtout, il devait être celui de la reconquête de la souveraineté française. C'est du moins l'essentiel et le premier point que le nouveau président de la République aborde lors de son discours devant le Congrès le 03 juillet 2017.

"Ce mandat du peuple, donc, quel est-il ? C’est de pouvoir disposer de soi-même, malgré les contraintes et les dérèglements du monde. Voyons la réalité en face. Les forces de l’aliénation sont extrêmement puissantes (...). Je crois fermement que (...) le peuple nous a donné le mandat de lui rendre sa pleine souveraineté.

Elle est là, la vraie richesse d’un pays et le mandat qui nous est donné, c’est de créer de l’unité où il y avait de la division. De redonner à ceux qui sont exclus la simple dignité de l’existence, leur juste place dans le projet national. De permettre à ceux qui créent, inventent, innovent, entreprennent, de réaliser leurs projets. De rendre le pouvoir à ceux qui veulent faire et font. Le mandat du peuple, ce n’est pas d’instaurer le gouvernement d’une élite pour elle-même, c’est de rendre au peuple cette dignité collective qui ne s’accommode d’aucune exclusion."

Dans ce long discours qu'on peut se permettre de qualifier de "fondateur" au regard de sa date (03 juillet 2017), le président de la République, au-delà de tracer une feuille de route, effectue devant la représentation nationale et l'ensemble des Français le constat parfois sévère de la situation du pays. A partir de cette analyse, il décrit les principes qui vont guider son action. Analyse dont il faut reconnaître la justesse, en particulier sur la souveraineté dont il fait le point central de sa réflexion.

Emmanuel Macron déclare que c'est le cœur du problème. Il articule d'ailleurs cette exigence à celle de l’unité et de la dignité individuelle et collective. La souveraineté consubstantielle à l'unité et à la dignité du peuple. Dimension fondatrice de "l'identité" politique du peuple Français, dont il a la charge et qu'il doit incarner en tant que chef de l'Etat.

C'est donc à cette aune-là qu'il faut mesurer le mandat qui s'achève. Cinq ans plus tard, le mandat donné par le peuple de lui rendre sa pleine souveraineté a-t-il été respecté ?

Il faut également partir du principe que si nous pensons que ce constat était juste en 2017, il l'est toujours aujourd'hui et qu'il restera en réalité le centre de gravité de la campagne présidentielle qui s'ouvre et que ce sera la ligne de « partage des eaux » entre les candidats.

On mesure aisément la désorientation que représente cette perspective. La question de la souveraineté n'est plus vraiment au cœur des réflexions ni de la "gauche" ni de la "droite" depuis bien longtemps et même la REM taxe rapidement d'extrémistes de droite celles et ceux qui aborde le sujet. La souveraineté est devenue l’enfant caché, honteux, que l’on voudrait oublier dans le fin fond du plus éloigné des orphelinats, de la plus grande partie de la « classe politique. »

Philippe Séguin l’avait clairement annoncé dans son magnifique « Discours pour la France » prononcé dans la nuit du 5 au 6 mai 1992 à l’Assemblé nationale dans le cadre du débat consacré au projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht : « Je ne parle ici au nom d’une France contre l’autre ! Car dès lors qu’il s’agit de la France, de la République et de la Démocratie, il ne peut pas être question de la droite, ni de la gauche. Ce qui est en jeu est au-delà des partis, au-delà des clivages les plus naturels, au-delà des oppositions les plus légitimes, au-delà des querelles les plus anciennes, puisque l’enjeu n’est rien de moins que notre communauté de destin. »

Le diagnostic de la « dépression française » était donc bien posé par le président Macron et finalement, vaille que vaille, un chemin semblait tracé. Mais la signature du traité d'Aix-la-Chapelle tout début 2019 après que de nouveaux efforts furent demandés aux Français, sema le trouble…désormais tous les chemins mènent à Berlin.

La promesse du retour à « la pleine souveraineté » se transforma dans l’oxymore de « souveraineté européenne » qui tourne le dos à la notion « d’Europe européenne » théorisée par le général de Gaulle. Ce changement car traduit une évolution sensible vers le retour du traditionnel ordo libéralisme, ses contraintes, ses normes que l’Allemagne met en œuvre avec talent. Mise en œuvre sur laquelle veille le tribunal constitutionnel de Karlsruhe puisqu'il a fort justement décrété « qu'il n'existait pas de peuple européen. » La démocratie ne peut donc se fonder que sur les peuples, les nations et donc le génie propre qui est le leur.

En 1996 déjà, Jean-Pierre Chevènement dans un livre prémonitoire (France-Allemagne parlons franc) mettait en garde « l’Allemagne redevenue puissance prépondérante en Europe, ne voit-elle en celle-ci qu’une Allemagne agrandie ? L’union monétaire a-t-elle était conçue pour aider les autres européens à gravir la montagne magique au sommet de laquelle est dressée la table des puissants ? Ou bien n’est-elle qu’une mise en tutelle, l’Europe n’étant là, selon le mot de Günter Grass, que pour « donner le change ? »

C'est dans ce cadre qu’il faut également comprendre le mouvement des "Gilets jaunes" qui demande des comptes au président quant à cette promesse faite dans son triptyque du 03 juillet "Souveraineté-Unité-Dignité." Mouvement longtemps soutenu par une très forte majorité de Français. Que disaient-ils fondamentalement ? « Macron nourrit ton peuple » d'une part et « Nous sommes un peuple » d'autre part...Deux exigences rappelant le pouvoir aux obligations, qu'il doit remplir: faire tourner la boutique et que chacun si retrouve après les efforts consentis "redonner à ceux qui sont exclus la simple dignité de l’existence, leur juste place dans le projet national" et que le seul et vrai patron ce sont les Français, « le mandat du peuple, ce n’est pas d’instaurer le gouvernement d’une élite pour elle-même, c’est de rendre au peuple cette dignité collective qui ne s’accommode d’aucune exclusion. »

Les Gilets jaunes visait le cœur de ce renversement qui mettait un terme à l'annonce de la reconquête de la souveraineté nationale et populaire en la transformant en « européenne » Ils avaient bien compris et l’ensemble des Français avec eux qu'il s'agissait désormais de continuer de subir les contraintes extérieures.

La répression fut sévère, le mouvement dégénéra et sera décrédibilisé par la multiplication des violences, des infiltrations de groupuscules extrémistes et l'importance des dégradations. Cette « Jacquerie » selon les termes de Stéphane Rozès ne fût pas une Révolution mais l’illustration d’une fracture, de la persistance de la violence des rapports sociaux et que l’articulation de la question sociale et de la question nationale reste le noyau central de la possibilité « de notre destin commun. »

Puis vint la crise sanitaire. Elle a mis en lumière à quel point notre outil industriel avait été abandonné, mis à l'encan, bradé, vendu. A quel point nous dépendions de l'étranger y compris sur des questions vitales. Une lumière crue et impitoyable indiquait combien l'Etat se faisait le maitre d'œuvre de politiques indexées sur le néolibéralisme contre nos propres intérêts. N'oublions pas les masques qui manquaient, dont les stocks avaient été détruits parce que coûtant trop chers, les personnels soignants en sacs poubelles, les manques de respirateurs, les approximations pour ne pas dire plus de la parole gouvernementale...

Mais ayons l’honnêteté de reconnaître qu’il serait bien trop facile et même injuste d’en rejeter l’unique responsabilité sur la pouvoir actuellement en place. Encore une fois Philippe Séguin en 1992 : « La droite et la gauche sont deux détaillants qui ont le même grossiste, l'Europe ». C’était il y a près de trente ans. La désindustrialisation, les délocalisations, le libre-échange, les dévaluations compétitives, le nouveau management néolibéral, la généralisation du travail détaché, la libre circulation des capitaux non seulement au sein de l’Union européenne mais avec la planète entière, l’abandon de notre politique industrielle et de commerce extérieur, la financiarisation outrancière de l’économie, les disciplines budgétaires et financières imposées par la monnaie unique sont passées par là…La crise financière de 2008 aurait dû alerter suffisamment…

Et si les débuts de la gestion de la crise sanitaire furent certes chaotiques, infantilisants et indignes de l’intelligence des Français, il convient de reconnaître que l’action de l’Etat en particulier dans le soutien à notre économie, doit être saluée. Vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain n’a jamais constitué une politique digne de ce nom. C’est aussi la démonstration que le rôle de l’Etat reste déterminant et qu’il est le pivot de notre action collective.

Il nous faut désormais à nouveau « refaire France. » Là est le grand défi, le grand enjeu historique des générations d’aujourd’hui. Car c’est bien de cela dont il est question. Le sujet n’est pas de savoir si les Français sont prêts à accepter des « réformes », s’ils y sont « réfractaires » ou non. Ce que veulent les Français c’est reprendre en main le cours de leur destin car c’est ça qui donne sens à la politique dans notre pays. Cela sous-entend de prendre acte de la fin du cycle néolibéral dont l’Union européenne est devenue le meilleur relai.

Cette « question républicaine » est de nouveau posée depuis que la droite aussi bien que la gauche se sont détournées, l’une de l’héritage du général de Gaulle, l’autre de sa vocation sociale, pour se rallier, l’une comme l’autre, au néolibéralisme triomphant mais que l’histoire a condamné. Dès lors il faut avoir le courage et l’imagination de penser et de proposer autre chose. Notre histoire nous offre un exemple sur lequel il convient de méditer et de s’appuyer, celui du Conseil national de la Résistance.

Par ailleurs, l’Afghanistan doit également nous éclairer. Les structures héritées de la guerre froide d’une part, de l’OTAN d’autre part mais également notre place sur la scène mondiale, doivent être interrogées. Qu’on me permette de citer Jacques Berque : « Et surtout elle a (la France), depuis 1990 et la guerre du Golfe, abdiqué une politique à l'égard des Arabes et de l'Orient qu'elle menait pour le moins depuis François Ier. Mieux, le traité de Maastricht la replie sur une Europe nordique aux barrières hautaines ! Encore un pas, elle ne serait plus que la vassale comblée d'un Saint-Empire germanique des banquiers... »

Autrement dit, c’est à un questionnement global et général qu’il convient désormais de réfléchir, qu’il faut porter, assumer et proposer aux Français. Les éternels catalogues de propositions, d’annonces qu’on appelle « programmes » ne seront rien s’ils ne vont pas à l’essentiel : quel destin pour la France ? Quel avenir pour les Français ? Quel sens pour la République ? Comment reprendre en main notre destin ? Comment rebâtir des institutions solides avec le souci de ressourcer la démocratie dans la République et de rompre avec la dérive vers le « gouvernement des juges ». Pour que citoyenneté, civisme, école, services publics, laïcité, récit national ouvert, structurent à nouveau le patriotisme républicain ? Comment également « Refaire France » autour de la reprise de l’intégration et l’accueil du désir d’assimilation tout en combattant l’islamisme politique sans le confondre avec l’islam ? Quelle politique migratoire, qui dépend de notre capacité d’accueil, tout en allant de pair avec la générosité et la fermeté républicaines. Comment refaire la nation « civique », telle que notre Révolution en a posé les principes, car la démocratie suppose un sentiment d’appartenance fort que seule la nation peut offrir ?

Comment faire de l’Europe « L’Europe européenne » à partir de ses nations et en faire un acteur stratégique autonome. Ouverte vers l’Est et vers le Sud. Une Europe solidaire des nations et des peuples, fidèle à l’esprit des Lumières, « carrefour des civilisations », porteuse d’un véritable universalisme ?

L’enjeu de cette élection présidentielle n’est-il pas fondamentalement de faire surgir cette « nouvelle offre politique » ? Un choix que peuvent entendre les républicains qui entendent rester fidèles à l’inspiration profonde de Jean Jaurès et de Charles de Gaulle et à la philosophie du Conseil national de la Résistance ?

Claude NICOLET
Président de la Nation citoyenne