Claude NICOLET

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FigarovoxMa tribune parue ce jour, lundi 25 août 2014 sur le site du Figaro, suite aux déclarations de Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ainsi qu'à l'annonce de la démission du Gouvernement.


« Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ! » Disait Jean-Pierre Chevènement . Alors deux, vous pensez ! Depuis quelques jours, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon donnent de la voix. A ce concert il faut y rajouter Cécile Duflot et son livre (mais elle n’est plus ministre), Robert Hue (qui ne l’a jamais été) et sa prédiction sur la mort des partis et Jean-Luc Mélenchon qui annonce son départ de la co-présidence du Parti de Gauche.

 

En réalité, il faut légèrement remonter dans le temps et se souvenir de la déclaration que Manuel Valls a faite devant le conseil national du PS le 14 juin dernier : « Oui, la gauche peut mourir. » Une pareille annonce n’a pas eu l’écho qu’elle méritait. Car ce n’est pas rien qu’un Premier ministre de la cinquième république, qui est donc le chef de la majorité, fasse une telle annonce sans que cela ne soulève de débat au sein de cette même majorité dont il prédit la mort éventuelle.

 

Cette annonce n’est pas le fruit du hasard. Comment pourrait-elle l’être ? Le PS vient d’être atteint au cœur deux fois de suite : élections municipales et européennes. Le fondement de ce qui le structure dans son identité, son organisation et son projet politique, est touché.

 

Ce faisant, le Président de la République et le chef du Gouvernement déclarent « qu’il est hors de question qu’il y ait un changement de politique. » Intervient ensuite la crise du Proche-Orient entre Israël et la Palestine, où on ne peut que constater un changement d’approche radical de la France en faveur du gouvernement de Benjamin Nétanhyaou. Un tel changement de pied diplomatique ne peut relever de simples circonstances. C’est une réorientation profonde que même Nicolas Sarkozy n’avait pas faite. Nombreux sont celles et ceux qui sont déboussolés, pris à contre-pied par de telles déclarations. Il serait à mon sens trop facile de mettre cela sur le compte de l’amateurisme, de la méconnaissance des dossiers ou du manque de clairvoyance.

 

Incontestablement, l’exécutif a fait le choix d’un changement stratégique qui va bien au-delà de l’affirmation d’une simple « politique de l’offre. » C’est en réalité à une recomposition idéologique en profondeur à laquelle nous assistons. Sous la pression d’un Front national qui a de son côté, déjà largement pillé le logiciel politique de la gauche française, qui, complètement anesthésiée (sauf à quelques notables exceptions) par l’idéologie libérale et européiste, s’en est laissé dépouiller. Face à une droite qui n’est pas en meilleur état entre affaires et déchirures internes, sans vraies perspectives politiques, je suis convaincu que le pari de François Hollande est de parvenir aux élections présidentielles avec une nouvelle offre politique. Pari osé, difficile mais peut-être pas impossible

 

Cette recomposition ne peut s’accompagner que d’une refondation politique profonde. Il y a du côté de François Hollande un tropisme en direction de Gerhard Shröder et de Matteo Renzi du côté de Manuel Valls. Recomposition à leurs yeux nécessaires pour porter les réformes qu’ils estiment indispensables pour fondre notamment la France dans l’ensemble fédéral européen. Cela sous-entend des alliances ou des rassemblements d’un type nouveau mais que la candidature d’Alain Juppé aux primaires de l’UMP vient contrarier.

 

Chacun sent bien que les contradictions internes à l’ensemble des formations politiques françaises, relèvent de plus en plus des contraintes extérieures. Les fractures qui apparaissent depuis plus de vingt ans, notamment sur les choix européens, ne sont plus des fissures mais de véritables gouffres. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif et de l’Economie est placé au cœur de ces contradictions. Il en mesure chaque jour l’impact sur notre industrie, donc sur l’emploi, donc sur notre protection sociale. Chaque jour il mesure les ravages politiques que cela provoque dans l’électorat.

 

L’enjeu n’est donc pas mince, il est même colossal : il s’agit bien de l’existence même de la gauche en France et de la façon donc s’organise politiquement les rapports sociaux dans notre pays et au-delà.

 

La charge des deux ministres réclamant « un changement majeur de cap et un changement de politique » illustre cette déchirure interne chez les députés du PS et de la majorité, qui était apparue au grand jour lors du vote du « pacte de stabilité 2014-2017. » Pacte qui organise un plan d’économies de 50 milliards d’euros et lance officiellement la politique d’austérité, « idéologie destructrice » dit Arnaud Montebourg et auquel le MRC s’était opposé. Plan que nous serons dans l’incapacité de réaliser avec une croissance qui n’existe plus et une monnaie, l’euro, qui nous pénalise de plus en plus.

 

Cette déchirure éclate maintenant en pleine lumière au sein d’un gouvernement dont l’assise politique est de plus en plus étroite. Le Front de gauche n’y est pas, EELV n’y est plus, le MRC n’en a jamais été et le PRG risque de s’en aller sur la question de la réforme territoriale. Si les « frondeurs » du PS quitte le gouvernement ou s’autonomisent, c’est la question même du gouvernement qui sera posée. Juridiquement et légalement l’exécutif peut tenir, mais politiquement ?

 

Il ne s’agit plus aujourd’hui de simples jeux de pouvoir. Chacun sent bien que nous sommes arrivés au bout d’un système et que désormais il nous faut répondre à des questions redoutables auxquelles nous avons trop longtemps refusé de répondre. Elles se posent à nous depuis 1989, la chute du Mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne.

 

-Comment redonner des marges de manœuvres économiques, sociales, financières, budgétaires, diplomatiques, militaires, culturelles à notre pays ?
-Comment réarticuler souveraineté nationale, République et progrès social pour sauver notre modèle de société.
-Quelle relation avec l’Allemagne ?
-Quelle signification et quel sens donner à notre appartenance au commandement intégré de l’OTAN ?
-Que faire de l’euro ?
-Que faire de l’Union européenne ?
-Comment bâtir un grand projet politique républicain pour la France, qui soit à la hauteur de son histoire et du peuple français. Projet qui lui permettrait de se projeter dans le XXIème siècle et de renouer avec l’indispensable « roman national » ?

 

Ces questions sont à mes yeux d’une telle importance, qu’elles s’adressent à l’ensemble de la Nation et pas uniquement aux partis politiques.

 

La perspective tranquille et rassurante, d’une intégration dans une Union européenne, qui était en réalité génétiquement programmée pour s’épanouir à l’ombre de la puissance des Etats Unis d’Amérique, n’est définitivement plus d’actualité. La France doit à nouveau apprendre à jouer sa propre partition dans le « concert des nations » et retrouver le goût des grands espaces, conformément à son génie. Et à ce jeu-là, l’Allemagne a pris une longueur d’avance. Elle a reconstitué son hinterland et sa puissance politique, imposée sa monnaie. Dans cette affaire ce qui est grave, ce n’est pas la puissance allemande, c’est la faiblesse française.

 

Alors oui, si les préoccupations d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon sont de cette nature, leur participation au gouvernement ne peut plus durer et ils doivent avoir le courage et l’honnêteté de s’en aller, de prendre date et de participer à la création d’une perspective politique pour notre pays. Quand l’essentiel est en jeu, le patriotisme ne peut se satisfaire des frontières partisanes.

 

Si ce n’est pas le cas, alors il eût mieux valu se taire. La France ne peut plus se permettre de vains jeux de rôles. Le discrédit qui atteint aujourd’hui la politique est lourd de menace. Il y faut du courage et de la lucidité pour y faire face. Mais « la lucidité est la blessure la plus proche du soleil », écrivait René Char.

Claude NICOLET
Premier secrétaire du MRC Nord
Secrétaire national du MRC en charge de la Citoyenneté et de la Laïcité

Conseiller régional Nord Pas de Calais