Chère Martine, Chère camarade,
C'est avec intérêt que j'ai pris connaissance de ton entretien ce jour (19 octobre 2014) dans le Journal du dimanche. J'ai fait de même avec l'ensemble des publications parues sur le site internet "Réussir", qui expose de façon claire une analyse dont la globalité de vue est rassurante.
Je suis de ceux qui pense qu'aujourd'hui, la situation du pays est suffisamment grave, pour que l'on s'adresse certes à la gauche, mais aussi aux républicains. Il nous faut bâtir aujourd'hui un projet républicain, social, patriotique et internationaliste, seul en mesure de répondre aux défis auxquels est confronté le pays.
Parce que nous sommes aussi, en région Nord pas de Calais confrontés à une responsabilité particulière, qui est celle de construire la perspective politique qui brisera la dynamique du Front national. A l'inverse, en cas d'échec, c'est dans notre région que se confirmera cette dynamique que le FN veut transformer en laboratoire d'expérimentation pour effectuer sa mue républicaine.
La lecture de ces différents textes incite au débat public. Je m'en félicite d'autant plus qu'en ce qui me concerne, j'ai fait un certain nombre de propositions depuis quelques mois allant dans ce sens. Je me permets donc de te faire part, en toute modestie, de mes réflexions.
Ces propositions qui se veulent également un exercice intellectuel et de réflexion, n'hésitent pas à pointer du doigt ce manque cruel qui frappe la gauche depuis maintenant "quinze ans" écris-tu, probablement depuis plus longtemps.
Cette exigence de la pensée et du travail qui l'accompagne, est une nécessité absolue selon moi. Sans elle, pas de continuité possible, pas de réflexion sur notre histoire, pas de capacité à se situer dans un héritage. J'ai toujours eu la faiblesse de penser que faire de la politique consistait aussi à dialoguer avec l'histoire. L'histoire qui nous nous façonne et nous met en mouvement parce qu’elle est vivante.
Je pense également que "Le social-libéralisme est une impasse pour la gauche (et que) c’est sans doute pour avoir oublié les leçons de notre histoire que certains d’entre nous se sont laissés entraîner dans l’impasse du social-libéralisme. Celui-ci, venu de Tony Blair et de Gérard Schröder, a, un temps, tenu le haut du pavé en Europe. Il fait le constat d’une mise en concurrence des salariés et des modèles sociaux de par le monde et postule l’impossibilité de tenir une ambition sociale et des résultats sur le front du chômage."
Aujourd'hui, les dégâts causés sont considérables. Car si le social-libéralisme est une impasse pour la gauche, je pense surtout qu'il est un puissant corrosif pour la République elle-même et l'idée que nous nous en faisons. Fondamentalement, si le néo-libéralisme peut s'accommoder de la démocratie formelle, il est par essence incompatible avec la République sociale, une et indivisible et la laïcité. Celle qui veut comme le disait Jaurès "célébrer les noces de la classe ouvrière et de la Nation" République outil de transformation et d"émancipation sociale, "sans la république le socialisme est impuissant sans le socialisme la république est vide," disait-il encore. Où est aujourd'hui la promesse de Jaurès quand la France doit d'abord faire vérifier son budget par la commission de Bruxelles?
Par dessus tout, il faut évacuer la question de l'Egalité du débat public. Alors que l'Egalité reste depuis plus de deux cents ans le carburant révolutionnaire de la nation républicaine. C'est en réalité la promesse de 1789 et surtout de 1793 que la Révolution française a faite à l'humanité. Le rêve de l'émancipation se situe là et la France, la République en sont les éternelles garantes et dépositaires. Lourde responsabilité, dont parfois, dans des moments d'abandons et d'oublis, nous aimerions déposer le fardeau. Cela nous est arrivé dans l'histoire, alors la France chute. Que nous manquions à ce combat et le monde va plus mal, tant les peuples à travers le monde continuent d'entendre le fracas des combats pour la Liberté qui firent la grandeur de la France.
Alors oui, il faut réinvestir massivement le champ de la nation républicaine, de la patrie qui fut un renversement philosophique symbolisé par le cri des Soldat de l'An II "Vive la Nation!" Mais il s'agit là de l'un des plus grands tabous de la gauche française depuis trente ans: la question nationale qui est inséparable de la question sociale. L'une ne peut être traitée sans l'autre.
Quand tu déclares que "c’est justement parce que la gauche se tait sur l’imaginaire national, que celui-ci se trouve enfermé dans Barrès, Mauras (et) par les nouveaux imprécateurs". Je ne peux qu'être d'accord mais je pense que le malaise va au-delà du simple fait de se taire. Je crains qu'il n'y ai eu en réalité renoncement sur la question nationale. Parce que la question nationale interroge directement sur les choix libéraux qui furent fait. La conversion libérale était à ce prix.
Mais cette crise vient de loin, probablement de l'entre-deux guerres. Et sur ce point, il est selon moi indispensable d'examiner de près le comportement de nos élites (économiques, sociales, politiques et culturelles) et de leur rapport à la France, à la nation et à la République.
Mais si il y a eu Vichy, il y a eu surtout l'extraordinaire sursaut national et patriotique de la Résistance et du général de Gaulle. Il a aboutit à un nouveau projet économique et social porté par le Comité National de la Résistance. Il était le résultat de ce "noyau nucléaire" qui fait avancer la France et qui se base sur l'articulation de la question sociale et nationale. Le comportement admirable de notre peuple vis à vis de nos compatriotes juifs et étrangers pendant l'occupation va à l'encontre de cette image complaisamment déclamée de peuple collabo et indigne. Il y a eu des ignominies, mais je reste fidèle à la position de de Gaulle et de François Mitterrand qui ont toujours refusé de confondre la France et le régime de Vichy dont l'une des volontés était de revenir sur 1789. Finalement, le combat entre Jacobins et Thermidoriens a t-il jamais cessé?
La République ne peut s'envisager sans la Nation, car celle-ci est le cœur vivant de notre démocratie. Tu connais la fameuse phrase de Jean Jaurès, "un peu d'internationalisme éloigne de la Patrie, beaucoup y ramène."
C'est en réinvestissant sans complexe ces notions que nous serons à la hauteur de la tache historique qui est celle à laquelle nous devons faire face. C'est à partir de là que nous briserons l'élan du FN dont il est intolérable pour chaque républicain qu'il se permette de se revendiquer de Jaurès, de la République et de nos luttes. Mais interrogeons-nous, pourquoi le fait-il? Et pourquoi cela fonctionne? Parce que le peuple se sent abandonner par la gauche et que la droite a abandonné la nation. Cet enjeu conditionne notre survie même.
Je considère donc comme particulièrement intéressant que tu déclares que "l’égalité est la sœur de l’émancipation. Et que " pour réussir l’émancipation, l’égalité doit être sociale et bien réelle". En effet cacher les renoncements sous couverts de lutte contre les discriminations est en réalité participer à la fragmentation de la société. Cela ne peut aboutir qu'à la fin de la nation républicaine, nous courrons alors un danger mortel. L'ordre dominant doit briser les solidarités collectives, sociales et poltiques...Les communautés, les ethnies, les régionalismes, le différencialisme sont ses meilleurs alliés.
Tu évoques également la nécessité de redéfinir la nature des relations sociales dans notre pays, en proposant "un nouveau compromis entre l’Etat, les salariés et les entreprises, fondé sur l’idée que leurs intérêts peuvent converger au bénéfice de tous et d’abord des salariés." Le MRC a fait des propositions dans ce domaine en avançant le concept "d'alliance des productifs". Elles restent d'actualité tant notre situation économique exige une véritable mobilisation générale, mais surtout l'affirmation de nouvelles règles du jeu.
Notre situation économique et en particulier industrielle est mauvaise, nul ne l'ignore. Le récent rapport Gallois, commandé il y a à peine deux ans par Jean-Marc Ayrault le dit clairement concernant notre tissu industriel "aujourd'hui la côte d'alerte est atteinte."
Sur ce point nous ne pouvons faire l'impasse sur les questions européennes liées à l'euro, son fonctionnement, les politiques monétaire et budgétaires. Car je pense que dans ce domaine, les responsabilités de l'Union européenne et des gouvernements qui la composent sont écrasantes. Tu fais d'ailleurs le constat que dans ce domaine "indéniablement, une partie des leviers sont européens."
Leviers démocratiques tout d'abord, "à la gouvernance, nous devons substituer la souveraineté démocratique, dans des formes nouvelles. C’est vrai en France, mais surtout vrai au sein de l’Union européenne, où une même loi s’impose et où des outils aussi cruciaux, pour le destin des peuples européens, que la monnaie, la politique commerciale ou la politique budgétaire échappent, pour une bonne part à la décision de nos représentants."
Remarque de fond qui a le mérite d'aller à l'essentiel. Je suis d'accord sur l'analyse du concept de "gouvernance" totalement inspiré de la boîte à outil libérale. Comme l'avait dit Jean-Pierre Chevènement, "la gouvernance c'est le pouvoir sans les responsabilités." Tout le hiatus entre pouvoir, légitimité et démocratie est contenue dans cette formule. La caricature tragique reste le 29 mai 2005 et le vote des Français sur la constitution européenne qui fut alors bafoué. Et puis comment faire l'impasse, intellectuellement, politiquement, démocratiquement sur la déclaration du tribunal constitutionnel de Karlsruhe (juin 2009) qui déclare "qu'il n'y a pas de peuple européen".
Les représentants dont tu parles, représentent qui? Un peuple européen qui n'existe pas? Le peuple français? Il est clair que cette question déterminante doit être tranchée. L'impossibilité de tracer "un cap" vient en grande partie de là. Peut-il y avoir un Parlement qui précède l'existence d'un peuple? En réalité se sont fondamentalement deux logiques politiques qui s'affrontent, celle de l'Allemagne qui s'affirme au nom de sa démocratie et de sa souveraineté, et celle de la France qui se perd dans les sables de l'impuissance politique.
Le lien avec la société que nous souhaitons construire est évident. Comment agir sur la transformation sociale si les leviers nous échappent? "En France et partout dans le monde, l’équilibre de l’Etat-providence a été rompu. La mise en concurrence des Etats, sur la fiscalité aux entreprises, et celle des peuples, sur les droits sociaux et sur les salaires, est devenu la règle. Aujourd’hui, la seule logique du compromis et du contrat est devenue inégalitaire." Ces logiques à l'œuvre, ne doivent rien au hasard, elles sont en grande partie le résultat de politiques décidées par nos différents gouvernements. Acte unique, Traité de Maastricht et ses critères, monnaie unique, Traité de Lisbonne (copie conforme du Traité pour une Constitution européenne) pour ne citer que les plus connus...Cette architecture néolibérale a érigé "la concurrence libre et non faussée" en dogme avec toutes ses conséquences sur la vie quotidienne, les conditions de travail, la pression sur les salaires et les dépenses publiques, la mise en concurrence des systèmes sociaux et de protection sociale. Ntamment avec les pays tiers.
Dès lors les marges de manoeuvre que nous recherchons ne peuvent provenir que de la déflation interne et sont toutes entières comprises dans l'ensemble des mesures qui structurent la construction européenne. La libéralisation des mouvement de capitaux n'est qu'un exemple parmi tant d'autres...
Politique monétaire et budgétaire, critères de la Banque Centrale Européenne, Eurobond, gouvernement économique de la zone euro, mutualisation des dettes, programmes de grands travaux, budget européen ridicule...autant de débats qui doivent être mis sur la place publique et tranchés démocratiquement.
La question même de l'euro, de sa nature, voire de son existence doit être abordée. En ce qui me concerne, je suis favorable à sa transformation en monaie commune. Ce débat à gauche et même en France avec les républicains est indispensable. Car soyons honnête, sans une transformation profonde de la nature de l'Euro, il est tout simplement impossible de mener des politiques de transformations sociales et d'émancipation. Nous devons en débattre.
Qu'il me soit simplement permis de rappeler qu'à chaque fois nous alertions sur les conséquences à venir, cela nous à valu bien des désagréments, que nous combattions ces mesures...et que nous avions bien raison. Il faut maintenant revoir ce carcan pour nous donner de vraies marges de manœuvre. Je suis d'accord "la règle des 3% doit être révisée." Mais pas qu'elle!
Ces débats sur l'Europe nous ne pouvons plus les éviter. A le glisser sous le tapis depuis trop longtemps, il devient le véritable clivage de la vie politique française car il conditionne l'idée même de ce que nous sommes au monde.
Je partage tes propos quand tu déclares "transport, énergie, numérique : l’Europe devrait de toute urgence fixer une liste d’investissement publics essentiels pour son avenir et qu’il n’y a aucune raison de contraindre par une règle institutionnelle. Les dépenses de recherche et développement ainsi que celles finançant les opérations militaires extérieures devraient être sorties du calcul du déficit public pour encourager la préparation de l’avenir et la prise de responsabilité sur la scène internationale." Là encore voilà des propostions que le MRC fait depuis longtemps.
Mais il faut bien reconnaître que les contradictions sont importantes. Elles doivent être abordées, clairement, sans faux fuyant car je partage ton inquètude en cas d'échec de ce quinquénat. Les conséquences seraient terribles, pour les Français, pour la République et pour la France. Mais la désespérance, voire la colère sont grandes chez nos concitoyens. L'explosion de la précarité, du chômage de masse, de la pauvreté, de la misère rongent le pacte social et républicain. Mais tout cela est-il le fruit du hasard? "Est-il encore besoin de souligner qu’une politique entièrement tournée vers la résorption des déficits revient à organiser une redistribution du capital des plus pauvres vers les plus riches au sein de chaque Etat ?"
Si je partage ce constat, il est le résultat de choix dont la gauche et le PS en particulier portent une responsabilité réelle. Faut-il rappeler cet autre compromis historique entre la gauche, la social-démocratie, la droite et la démocratie chrétienne en Europe pour porter un projet qui nous conduit à l'impasse actuelle. Es-tu prête à revoir ce compromis qui a vécu lui aussi et à en faire l''analyse critique? L'Europe, notre "nouvelle frontière" mérite pour le moins d'être discutée.
Choix dont les conséquences politiques et électorales, ne peuvent plus être masquées après les derniers résultats des municipales et des européennes.
Désespérance vis à vis de la politique et de celles et ceux qui s'evertuent à en faire et à servir l'intérêt général, repli sur soi, perte et disparition des valeurs collectives, abandon de l'esprit de sacrifice, repli sur la sphère privée pour les individus et sur la sphère locale pour les citoyens, mythe des rassemblements a-politique basés sur un "humanisme" de bon aloi qui cache mal le refus "du" politique et l'acceptation fondamentale du libéralisme...les avertissements furent pourtant nombreux, 21 avril 2002 et 29 mai 2005 pour n'en donner que deux. la tâche de redressement est immense, tu le sais.
Nous commençons à récolter les fruits amers de ce qui est de plus en plus ressenti comme l'humiliation du pays, la peur du déclassement, la disparition de l"identité nationale, la perte du sens de la République...La question "identitaire" et culturelle que tu cites est une réalité.
Je tenais à l'issue de tes différentes interventions dans la presse de ce jour et sur ton site "Réussir", te faire part de ces quelques réflexions. Bien incomplétes sans doute, mais dont l'ambition toute simple et de participer et de faire vivre un débat que je considère aujourd'hui,comme vital.
Dans l'attente, je te prie d'accepter mes salutations républicaines les plus sincères.
Salut et Fraternité
Claude NICOLET
Premier secrétaire du MRC Nord
Secrétaire national du MRC charge de la Citoyenneté et de la Laïcité.
Conseiller régional Nord Pas de Calais