C'est ici, à Calais, que viennent se fracasser, telle une vague partie de loin, les conséquences de situations politiques et stratégiques qui dépassent de loin les responsabilités des Calaisiens. C'est ici, à Calais, sur les rivages de la Mer du Nord que viennent ce briser, non pas le rêve mais la volonté d'hommes, de femmes et parfois d'enfants qui tentent par tous les moyens d'échapper à une mort certaine pour saisir peut-être, une possibilité d'avenir. C'est à Calais, qu'ils échouent. C'est à Calais que parfois ils meurent.
Sur un sujet aussi difficile, il convient de peser chaque mot. Il convient de définir le plus précisément possible de quoi il s'agit. Il convient de tenter un discours de vérité, éloigné de toute démagogie, de toute facilité de langage ou de pensée.
Calais est devenue aujourd'hui, à son corps défendant, le symbole et la victime des dérèglements du monde. Il convient de dire les choses telles qu'elles sont. Les "migrants" sont d'abord et avant tout, issus de pays et de zones géographiques livrés à la guerre, aux pillages, aux crimes organisés, avec leurs cortèges de famines et d'abominations fanatiques, pour certains depuis plusieurs décennies. Afghanistan, Irak, Palestine, Syrie, Libye, Somalie, Ethiopie, Nigéria, Yémen, Afrique centrale et subsaharienne...Dans certain endroits, il n'y a tout simplement plus d'Etat et se sont des territoires entiers qui ont été livrés au crime organisé, aux mafias les plus féroces, aux bandes armées, elles mêmes manipulées et complices des intérêts des Etats de la région où de grandes puissances.
Il faut le dire, la responsabilité des Etats Unis d'Amérique dans l'anéantissement de l'Irak par George W Bush junior en 2002 est tout simplement criminelle et devrait relever de la justice internationale. L'ONU n'a jamais donné son accord pour une telle intervention militaire qui était basée sur une série de mensonges grossiers. Les néo-conservateurs ont une responsabilité gigantesque dans le situation actuelle.
L'acceptation et la participation très active à cette guerre par Tony Blair est également une réalité pour le Royaume Uni. La disparition pure et simple de l'Irak en tant qu'Etat a totalement déséquilibré l'ensemble du Moyen-Orient, laissant libre champ à l'expression des appétits les plus brutaux. C'est l'une des raisons de l'existence de DAESH et du terrorisme sunnite.
De la même façon, l'attaque de la Libye, voulue à toute force par Nicolas Sarkozy fut non seulement une erreur stratégique majeure, mais également une faute politique allant à l'encontre des intérêts de la France. Là encore, si il y a bien eu une résolution de l'ONU en 2011, la nature en a été changé durant les opérations. De la "protection des populations" on en est venu au changement de régime et à la liquidation du colonel Kadhafi. L'Etat libyen s'est purement et simplement volatilisé. Le résultat est catastrophique, les trafics en tout genre se sont multipliés, surtout d'armes, vers la Tunisie très affaiblie, et surtout vers toute l'Afrique centrale. Vide dans lequel les rivalités tribales se sont réveillées et qui a autorisé la prolifération des milices fondamentalistes.
La Syrie est quasiment sur le point de disparaître en tant qu'Etat. La guerre civile qui fait rage, d'une atrocité implacable, est également l'une des lignes de front de ces dérèglements du monde qui poussent vers l'exil des millions de réfugiés. Réfugiés dont certains l'étaient déjà, comme de nombreux Palestiniens, recherchant désespérément depuis 50 ans la création de leur Etat.
"L'internationale djihadiste et fondamentaliste" (DAESH, Al Qaïda et leurs filiales) n'ont jamais bénéficié désormais, de moyens aussi énormes. Leurs volonté politique est claire, restaurer le mythe du Califat et pour cela provoquer l'affrontement avec l'Occident et ses alliés. Ce qu'ils veulent c'est le choc des civilisations dans une vision millénariste et eschatologiques comme diraient les théologiens.
A Calais, ces hommes et ces femmes sont les terribles illustrations, les effrayants témoins de ces enjeux. Ils sont l'onde qui parcourt l'eau suite à un impact.
A Calais, ils sont l'image du monde livré à la barbarie.
Ils ne viennent pas à Calais par plaisir. Ils payent cher leur "voyage", ils sont aux mains de passeurs qui pour certains n'hésitent pas à tuer en masse pour ne pas se faire prendre. Partout ils sont en danger durant leur périple. Cet argent c'est tout ce qu'ils ont. C'est aussi souvent l'argent de toute la famille au sens large pour permettre à l'un d'entre-eux de réussir, de s'en sortir et peut-être ensuite d'en faire venir d'autres. Ils viennent pour rejoindre la Grande Bretagne. Parce que très souvent ils sont anglophones, conséquence de l'histoire coloniale de l'empire britannique. Parce que parfois, ils y ont de la famille installée de plus ou moins longue date et puis parce la déréglementation sociale et du droit du travail a permis de créer un secteur de "petits boulots" vis à vis duquel l'administration n'est pas toujours des plus regardante. Mais aussi, parce que la législation sur le droit d'asile est plus souple en Angleterre.
Mais Calais, c'est aussi l'image d'une certaine humiliation de la France. C'est l’illustration du fonctionnement des accords de Schengen (qui ne concernent pas la Grande Bretagne). Car désormais, il est bien clair pour tout le monde, que la frontière britannique n'est pas à Douvres, mais à Calais. Au nom du Traité du Touquet (2003) qui a suivi la fermeture du centre de Sangatte, la charge de la protection des frontières du Royaume Uni, repose de fait sur la France. La réponse anglaise, donnant des barrières et un peu d'argent, à quelque chose de méprisant, disons le.
Calais pose aussi la question de la frontière et de sa légitimité. Il faut répondre. Car si la frontière exclue, la frontière inclue également. Elle permet de forger une identité. Calais pose la question d’un monde en proie à tous les bouleversements, ouvert aux quatre vents. Suis-je encore chez moi là où je suis, là ou je vis ?
A Calais, s'offre donc à nous ce "spectacle" terrible de la réalité d'une certaine mondialisation. Ce n'est pas celle des milliardaires, des traders, des bourses, de la finance. C'est la mondialisation et de ses crises qui broient des millions de vies. Or, dans notre région qui se bat contre la désindustrialisation, qui est face au travail détaché, où le dogme européen de la "concurrence libre et non faussée" fait des ravages, qui a toujours très massivement voté NON aux différents référendums européens, région qui a déjà le sentiment très vif de se battre contre cette mondialisation, le danger n'est pas dans le rejet de l'Autre (il faut toujours être vigilant), il est dans l'impression qu'on ne cesse de charger la barque et que se sont toujours les mêmes "ici" qui trinquent.
Alors oui la Grande Bretagne doit prendre sa part et doit faire plus. Bernard Cazeneuve sur ce point a raison. Il faut revoir les Accords du Touquet. Car la situation des "migrants" à Calais est inacceptable et que les calaisiens ont totalement raison de ne pas l'accepter. Comment demander de se résigner à cela, comment accepter de trouver cela "normal". Toute l'histoire de notre pays, en particulier depuis la Révolution française, n'a t’elle pas été le progrès de la société? Son progrès économique, social et culturelle?
Il est donc totalement légitime de refuser de voir s'installer des "jungles" et autres bidonvilles qui heurtent profondément les consciences.
Calais et ses habitants, ne peuvent, seuls, répondre à un tel défi. Il relève des Etats et certainement pas des collectivités locales, même si Xavier Bertrand, facilité électorale aidant annonce qu’il « laisserait passer les migrants ». C’est à la France d’y répondre et surtout à la Grande Bretagne qui ne peut s’exonérer de ses responsabilités, y compris dans les conséquences de sa politiques étrangère, en particulier au Moyen-Orient.
Il ne faut ensuite se faire aucune illusion. Cette difficulté est encore devant pour de nombreuses années. Les vrais remèdes sont dans la restauration d’Etats efficaces et performant. Dans la mise en place de projet de développement notamment en Afrique et mieux encore, de co-développement. Il est donc absolument démagogique de dénoncer à la fois la présence des migrants et en même temps dénoncer les programmes d’aide au développement où la coopération décentralisée. Dans le soutien au programme sanitaire et de maîtrise des populations (planning familial). Cela veut également dire, l’arrêt de toute politique « interventionniste », en particulier des puissances occidentales, dans les affaires des autres Etats. On a malheureusement vu les conséquences.
Claude NICOLET
Conseiller régional Nord Pas de Calais